Le 16 janvier 2016, la capitale burkinabè était frappée par un attentat terroriste, un événement qui hélas, allait inaugurer une série d’attaques dans plusieurs localités de notre pays, faisant près de 500 morts. Nord, Sahel, Est, Mouhoun, aucune zone n’échappe à la furie des extrémistes violents qui endeuillent les familles burkinabè.
En plus des opérations que mènent les Forces de défense et de sécurité contre les forces du MAL, l’auteur du texte ci-contre suggère ce qu’il appelle "la défense de l’avant" pour assurer une victoire globale contre les terroristes.

La « défense de l’avant » est un concept qui s’étudie dans les cercles restreints des écoles de guerre ou dans les amphithéâtres réservés aux études stratégiques. Il ne faut surtout pas le confondre avec celui de « la guerre préventive ».
Mais quel est donc l’intérêt de rendre accessible des réflexions d’une telle portée ?
Depuis quelque temps, nous constatons qu’il y a un regain d’intérêt pour le Burkina Faso de demain, le temps long, la prospective.
Et ce formidable mouvement qui s’intéresse aux questions stratégiques fascine parce qu’il est animé d’une part, par des francs-tireurs (les intellectuels traditionnels sont-ils toujours crédibles ?) et parce que d’autre part, il est loin de toute considération partisane.
Notre pays s’est caractérisé pendant longtemps par un déficit chronique de culture stratégique. Toutefois, les défis sécuritaires actuels ont énormément contribué à « ouvrir les yeux » du Burkinabè. Bien sûr, nous sommes toujours absorbés par une actualité qui nous éloigne des véritables problèmes et problématiques tant elle est abondante en distraction de toute sorte. Notre environnement informationnel est aujourd’hui saturé par des thématiques qui n’apportent rien de concret au devenir collectif. Une sorte de fuite en avant collective pour ne plus réfléchir à d’autres sujets d’intérêt qui mériteraient de se retrouver au cœur du débat public. Pourtant, l’incertitude et la complexité nous imposent de penser le Burkinabè et le Burkina Faso ; autrement dit, nos valeurs, nos institutions, notre Histoire et donc notre devenir.
Pour revenir à l’objet de cette publication, il est tout à fait indiqué de s’intéresser à certaines thématiques stratégiques surtout quand notre pays traverse des moments difficiles. La défense et la sécurité sont des questions qui se sont retrouvées sur la place publique depuis l’Insurrection, ce qui est assez inhabituel dans notre pays. Personne n’osait s’aventurer dans la chasse gardée de « la grande muette ». Et aujourd’hui, chacun y va de son commentaire au nom de la liberté d’expression. Du plus intelligent au plus aberrant.
Pourquoi beaucoup de pays et d’institutions (des acteurs traditionnels aux nouveaux venus) sont présents aujourd’hui au Sahel ? La réponse à une telle question est à plusieurs volets. Mais derrière la solidarité internationale qui est mise en avant, il y a bien sûr les enjeux géopolitiques, géostratégiques, géoéconomiques et géoinfomationnels.
Les « fous de Dieu » peuvent répandre la propagande qu’ils veulent mais concrètement, leur attitude a permis aux « Infidèles » et autres « Croisés » d’être en permanence encore plus présents au Sahel et en sus, avec la légitimité qui va avec.
Dans cette opposition multiséculaire entre Orient et Occident, voici le Sahel pris entre deux feux.
Quand on parle de conflit, la question des ressources naturelles n’est jamais bien loin. Et nous savons tous qu’un sous-sol riche, avec tout ce qu’il suscite comme convoitise, n’est pas la meilleure garantie pour la stabilité d’une région. Les militaires et les commerçants se croisent sur les mêmes champs de bataille. Cette antienne n’a pas, jusque-là, été démentie.
Sous couvert de la communauté internationale, c’est la « mission civilisatrice » qui semble se poursuivre : apporter de l’humanisme et de l’éducation à des communautés qui se tuent pour des raisons difficiles à comprendre ou se tuent même sans raison.
Au niveau de l’image et de l’influence, prenons l’exemple de l’Allemagne. Selon le nouveau baromètre du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) au sujet des leaders d’opinion en Afrique, les leaders africains classent la France en cinquième position (21 %) parmi les pays dont ils ont la meilleure image. Arrive en tête l’Allemagne, citée par 45 % des décideurs, suivie par la Chine (37 %), et les États-Unis (34 %) et le Japon (34 %).
Même si elle n’est pas clairement évoquée, l’image positive de l’Allemagne est également améliorée par son engagement militaire (onusien et bilatéral) contre l’hydre terroriste.
Selon Abdou Khadre LÔ, La France a trois raisons d’intervenir militairement au Mali :
• D’abord, la zone sahélienne est une zone de plus en plus incertaine pour les ressortissants occidentaux et français en particulier, notamment en raison des nombreuses prises d’otages.
• Ensuite, l’intervention de la France est économique. Ces groupes djihadistes constituent une réelle menace pour les intérêts économiques de la France dans ce qui est appelé son pré-carré.
• Enfin, nos États anciennement colonisés par la France, malgré leurs discours nationalistes, n’hésitent jamais à faire appel à Paris à la moindre attaque rebelle.
Au-delà de ces raisons objectives, il apparait évident que la France est au Sahel pour éliminer les djihadistes sur place, avant qu’ils ne se retrouvent sur le territoire français comme le craignent certains sécurocrates et une certaine opinion. Le dispositif en place permet également de barrer la route de l’Europe aux trafiquants de tout genre et autres migrants en quête de l’Eldorado.

Un conflit, même de basse intensité, permet aussi de s’entrainer, d’aguerrir ses troupes, d’améliorer ses procédures, de tester son matériel et surtout, d’assurer le développement de prototypes qui seront les armes de demain.
Quand des institutions et des personnalités politiques françaises insistent et disent que « l’Afrique c’est notre avenir », il faut essayer vraiment de savoir pourquoi afin de disposer de la grille de lecture la plus cohérente dans l’analyse des évènements.
Pour rappel, au lendemain des Indépendances, l’ancien colonisateur, contraint par la nouvelle donne, ne s’est pas retiré qu’avec sourire et bonhomie. Le cordon ombilical n’a jamais été rompu d’ailleurs. Pour preuve, le tutorat des chefs d’États des anciennes colonies se perpétue, et pour ceux qui osaient penser par eux-mêmes, c’était la déchéance qui s’abattait sur eux. Et des illuminés leur offre aujourd’hui la possibilité de revenir et de s’installer de façon durable. Ainsi, par les turpitudes d’une minorité extrémiste, se valident des certitudes néocolonialistes réconfortant les convictions que « les impérialistes » n’auraient jamais dû partir.
La France, comme beaucoup de pays présents militairement dans le Sahel, est engagée dans cette région pour une raison somme toute évidente : « les frontières d’un pays se trouvent là où commence sa sécurité ». On ne peut pas lui en vouloir pour cela. Et nous Burkinabè ? Par où commence notre sécurité ?
D’abord, dans un monde en pleine évolution, la diplomatie doit s’adapter à des réalités nouvelles. Elle doit s’exercer en parfaite cohérence avec les ambitions légitimes de notre peuple. À l’heure des choix stratégiques, il faut pleinement s’assumer, prendre des décisions difficiles aux conséquences généralement lourdes. Il s’impose à l’heure actuelle de faire le bilan de certaines coopérations et d’en tirer des leçons.
De même, le renseignement, au-delà des compréhensions qui relèvent plus du fantasme qu’autre chose, n’est pas encore une culture citoyenne ici au Burkina Faso. Il y a des personnes qui parlent de renseignement sans connaitre leurs voisins mitoyens.
Au croisement des sciences sociales et exactes, le renseignement s’intéresse à l’inconnu, à l’autre, au lointain, et surtout à demain.
Aussi, si des Burkinabè pensent que c’est seulement en déployant nos troupes à nos frontières et à l’intérieur du pays que nous réussirons à mieux sécuriser le pays, ils se trompent lourdement.
Le concept de « la défense de l’avant » est là pour le prouver. Au regard de la configuration de notre territoire, si l’ennemi est à nos portes, c’est qu’il est déjà dans notre lit. C’est pourquoi, il est plus ou moins aisé pour lui de frapper n’importe quelle région du pays et même la capitale.
En effet, l’opinion a pesé de tout son poids pour que nos troupes qui sont déployées sur d’autres théâtres reviennent défendre la patrie, ignorant complétement la dimension géopolitique de l’asymétrie. Le terrorisme est un phénomène international qui a aussi bénéficié de la mondialisation pour étendre son idéologie meurtrière et son emprise territoriale. La situation sécuritaire que nous connaissons aujourd’hui au Burkina Faso est partie de l’agression du Mali par la coalition des irrédentistes et les obscurantistes. Partageant plus de 1000 km de frontières, ayant à plusieurs endroits des dynamiques endogènes similaires, le Burkina Faso ne peut être un havre de paix si le Mali n’est pas un pays stable.

Par conséquent, la sécurité du Burkina Faso commence dans tous ces pays qui ont des ressortissants qui ont eu à s’en prendre au Burkina Faso, qu’ils soient du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest ou de n’importe quel autre pays. Nous devons également nous assurer que « l’ennemi intérieur » « rentre dans la République » quoi qu’il nous en coûte. La synergie des institutions citées plus haut à savoir la diplomatie, le renseignement et les forces de défense et de sécurité, doit nous permettre d’atteindre nos objectifs sécuritaires selon l’approche la plus holistique possible. En ce sens, nous devons tous garder à l’esprit que notre sécurité collective ne saurait se réaliser au détriment de nos idéaux de paix, de justice, de liberté et de prospérité partagée.
Les pays africains qui pensent également que si eux, ne sont pas encore frappés par le terrorisme, c’est parce qu’ils ont des forces de défense et de sécurité ainsi que des services à la hauteur, se trompent. J’espère ne pas avoir raison. Néanmoins, l’exemple du Burkina Faso le prouve à souhait, notre pays ayant comme par miracle été épargné par les attaques terroristes pendant des années. « La conception classique de la guerre ne résiste plus à l’analyse » souligne Bertrand Badie. L’erreur consiste donc à affronter des acteurs non étatiques de manière conventionnelle.
La stabilité du Burkina Faso, au regard de sa géographie est déterminante pour la sécurité de la sous-région ouest-africaine mais aussi du monde entier. Regardons ensemble les nationalités de toutes les victimes de la violence fondamentaliste et nous nous rendrons bien compte que sans exagérer, l’avenir du monde se joue aujourd’hui au Sahel.
Il faut se le tenir pour dit : le combat dans lequel nous sommes engagés nécessite une grande agilité intellectuelle ainsi qu’un pragmatisme à toute épreuve, car il prendra du temps. Il nécessitera également, de notre part, une remise en cause profonde et permanente dans la manière de mener le combat.

Alain Sara
Auteur du livre Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso
saraalain.bf@gmail.com

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