Tonnerre d’applaudissements dans la salle Nerwaya le 28 février dernier à la fin de la projection de « Au temps où les Arabes dansaient », un documentaire long métrage du Marocain Jawad Rhalib, lauréat de l’Etalon d’argent dans sa catégorie au Fespaco2019 dont les rideaux sont tombés le 2 mars.

Quatre-vingt-quatre minutes (84) d’images d’archives de musique, de discours politiques, de danse, de scènes de théâtre pour dénoncer et déconstruire le discours islamiste fait de diatribes contre la liberté de créer. Ce que montre le documentaire qui est d’intérêt public par ces temps qui courent, c’est la haine des fascistes verts contre le droit de créer, contre les artistes qui prennent des libertés de « travestir » le réel et de refuser d’être des marionnettes d’une autorité suprême dont ils devraient obéir à toutes ses injonctions, via bien évidement, ses autoproclamés représentants sur terre.
« Au temps où les Arabes dansaient » est une plongée dans l’histoire de la culture arabe, principalement dans les pays du Maghreb, où dans les années 50, la danse occupait une place dans les événements culturels et artistiques, où la création était protégée par des leaders libéraux, à l’image du président égyptien, Gamel Abdel Nasser. A l’époque, les Frères musulmans n’étaient qu’un groupuscule de nervis qui rêvaient d’imposer l’ordre religieux à l’ensemble de la société égyptienne, à commencer par le voilement du corps, principalement le corps de la femme qu’ils tiennent pour coupable de tous les péchés que peut commettre l’homme.

« Aucun texte n’autorise à écouter Beyoncé, Madonna ou Michael Jackson. C’est sale, dégoûtant. Les paroles sont horribles, épouvantables... Ils vous encouragent à bouger votre corps, à pervertir vos pensées. Qu’Allah nous pardonne ! Toutes professions où le corps est à des fins de divertissement public est interdit ».
Sermon délirant d’un imam marocain contre ce qu’il considère comme des blasphèmes, suivi, sur le même registre de l’absurde par un collègue s’adressant à des enfants : « Ceux qui écoutent de la musique, Allah les transformera en singe ou en porc ».
Comment les sociétés arabes, qui étaient naguère ouvertes sur le monde, ont-elles glissé vers le repli sur soi, l’enfermement et le refus de l’altérité ? C’est tout le sens de ce documentaire produit par Jawad Rhalib, en dépit des menaces et des intimidations dont il a été l’objet durant le tournage. Comparativement à quelques décennies plus tôt, le recul de l’esprit humain est net dans ces pays où, progressivement, les fondamentalistes religieux ont investi la vie publique et privée, rongeant subrepticement tous les espaces de liberté conquis durant des siècles.
Comme tous les totalitarismes, le fondamentalisme religieux considère la vie comme une totalité où il n’y a pas de frontière entre la sphère privée et la sphère publique. Irrité par la liberté dont jouissent les femmes égyptiennes dans leurs choix vestimentaires, bien entendu pas conformes aux prescriptions du coran, un religieux va voir le président Gama Abdel Nasser et lui demande d’obliger les femmes à porter le voile et se couvrir le visage. Réponse toute ironique du leader progressiste et grande figure du panafricanisme : « tu as une fille étudiante en médecine et tu n’arrives pas à lui imposer le voile. Comment veux-tu que moi, j’impose le voile à 10 millions d’Egyptiennes ? ».

On découvre tout au long du film la peur qui habite les acteurs arabes au moment de tourner certaines scènes qui horrifient les islamistes, comme la séquence qui évoque Aïcha, l’épouse du prophète Aïcha et celle où un comédien récite nu, la chahada la profession de foi en islam au moment de sa conversion à l’islam.
Jawad Rhalib a confié à des confrères que ces deux scènes empêchent la diffusion du film dans beaucoup de pays, pas uniquement arabes. En Suède, on lui a ainsi demandé de couper ces deux scènes pour ne pas choquer le public, ce qu’il a refusé.
Ayant raté sa correspondance, le réalisateur n’était pas présent à Nerwaya pour échanger avec le public ; mais il a fait lire un message dans lequel il a remercié vivement le FESPACO qui ne lui a posé aucune condition pour la projection du film.
Une absence fort dommage d’autant qu’un débat avec lui aurait été bien bénéfique dans le contexte burkinabè où la lutte contre le terrorisme est essentiellement menée sur le terrain militaire, mais très peu sur celui de la déconstruction de la superstructure terroriste.

"Au temps où les Arabes dansaient" est un film courageux, de combat contre l’obscurantisme et l’intolérance. Vivement recommandé !

Joachim Vokouma
Kaceto.net