La mort accidentelle de deux lycéens de Ouagadougou en l’espace de deux semaines a suscité une vive polémique sur la capacité des pouvoirs publics à garantir la sécurité routière à leurs concitoyens. Quid de la responsabilité des usagers ?

Atmosphère très lourde dans l’après-midi du 3 mai dernier au cimetière de Bargo, à l’Est de Ouagadougou. Le mercure affiche très haut. La sueur perle sur tous les visages. Les mines sont graves. Le silence est total autour de la tombe qui va accueillir Wend Bouda Lydie Moyenga, 16 ans, élève de 1ère E au Lycée technique national Sangoulé Lamizana, ex Lycée technique de Ouagadougou, littéralement écrasée très exactement à 8h50 mn au rond-point de l’échangeur de l’Est.
Parents, connaissances et camarades de lycée sont là, assommés. Beaucoup ont les yeux rougis. Submergés par la peine, ils sont plantés devant la tombe, coude contre coude, incapables de se parler. Que dire d’ailleurs ? L’expression "silence de cimetière" n’a jamais été si vraie que ce jour maudit du 3 mai.
Le cortège funèbre vient d’arriver. Le véhicule qui transporte le cadavre de Lydie, enveloppé dans une natte, s’approche de la tombe et s’immobilise. L’émotion est à son comble. Dignes, certains écrasent discrètement des larmes.

Selon les croyances africaines, point besoin d’incantations ou de prières quand la mort survient dans la violence. Il faut seulement descendre le corps dans ce fichu trou, sans protocole. De jeunes gens s’y collent. Du courage, il en faut pour exécuter ce sale boulot. Le corps est à présent bien ajusté aux parois de la tombe. Puis on referme l’ouverture à l’aide de briques en parpaing. Mais avant de mettre la terre dessus, le proviseur du lycée, Evariste Millogo demande à dire un mot, au nom de l’établissement et des camarades de la défunte. Il décrit Lydie comme "une élève exceptionnelle, brillante, disciplinée" ayant le souci du "travail bien, sinon l’excellence".
On apprend ainsi qu’elle a totalisé 426 points au BEPC et qu’en 2nd technique, elle a obtenu une moyenne générale de 16,07 points et "reste la meilleure des filles de 2nd sur l’ensemble de l’établissement" et a maintenu son rang au premier semestre de cette année avec une moyenne de 15,85 malgré quelques perturbations".
Bref, une élève qui était promise à un bel avenir. Le sort en a décidé autrement.
C’est la volonté de Dieu, seule consolation dont on se contente en de telles circonstances.
Les jeunes gens rebouchent la tombe, puis on pose des branches d’arbres dessus. Un parent de la défunte prend la parole. Il balbutie et doit se racler la gorge avant de pouvoir sortir un mot de sa bouche. "Au nom de la famille, je vous remercie d’être venus nous assister en ces moments difficiles. Merci aux jeunes gens qui ont permis que notre fille ait un lieu de repos. Que Dieu vous ramène chez vous en bonne santé". Puis, il conclut : "C’est fini comme ça ; dès qu’on part d’ici, il n’y a plus rien à faire ; on ne vient pas saluer à la maison", dit-il.

Le public se disperse pendant qu’un orage se prépare à l’horizon.
Dans la famille installée à Wayalghin, c’est la désolation générale. Son oncle, ou plutôt, son "petit papa" , le frère du père de Lydie, même père, même père, chez qui elle habitait, on ne sait pas quoi dire. Les voisins et parents proches sont là, assis et se regardent. Dévastés. Le silence comme seul moyen de communication. C’est tout dire !
La mort accidentelle de Lydie, qui a vite été relayée sur les réseaux sociaux et dans les médias, a créé une vive émotion et une colère légitime dans l’opinion. A peine deux semaines plus tôt, le 23 avril 2019, un autre lycéen, Anthony Rachid Sawadogo, 17 ans, en classe de 1ère également au collège Saint Jean-Baptiste de la Salle, avait été également tué accidentellement par un camion sur la voie pavée qui longe le barrage de Tanghin.

Une série macabre qu’on espère sincèrement terminée. Sans trop y croire.
Car, au delà de la polémique parfois indécente que ces deux drames ont suscitée,-certains ayant profité pour solder leurs comptes avec des adversaires politiques- la problématique de la sécurité routière est devenue une question de santé publique et de sécurité nationale. Tout le monde connait les causes de ces accidents mortels qui endeuillent tous les jours les familles. N’importe quel usager de la route mesure le danger auquel il s’expose en sortant de chez lui pour faire une course.
Bien sûr, les autorités nationales (ministère de la Sécurité, de la Justice, des Transports) et communales (mairie centrale, mairies arrondissement) doivent assumer leur rôle en dotant la population d’infrastructures routières de bonne qualité. Elles ont été élues pour ça. Le constat est qu’en dépit des efforts consentis par les pouvoirs publics, le secteur des transports souffre encore d’un manque de services en quantité et en qualité pour répondre aux besoins des 3 millions d’habitants qui peuplent Ouagadougou.

Mais disons nettement les choses : la principale cause de ces accidents ne réside pas dans la mauvaise qualité des routes, mais dans l’incivisme et l’intolérance des usagers, sans distinction de sexe et d’âge. Il suffit d’emprunter n’importe quelle artère de la ville de Ouagadougou et à n’importe quelle heure de la journée pour découvrir à quel point le respect du code de la route est le dernier soucis de nombre de nos concitoyens.
Même le petit Samo, qui débarque de son Tougan natal ne sait peut-être pas qu’il faut ralentir quand le feu est à l’orange, mais il sait, pour l’avoir entendu à la radio, qu’il faut s’arrêter quand c’est rouge et passer quand c’est vert. Or, le spectacle qui est donné à voir tous les jours sur les routes de notre capitale est plus que révoltant. Ces cinq dernières années, la situation s’est particulièrement empirée, obligeant les pouvoirs à mettre en place un dispositif de guerre juste pour faire respecter le code de la route.

A certains carrefours, il n’est pas rare de voir trois professionnels de la sécurité routière en poste alors que les feux de signalisation fonctionnement parfaitement. Un premier policier muni de sifflet pour interpeller les délinquants, puis un autre plus loin équipé d’une arme de guerre, doigt sur la gâchette, prêt à dégainer contre les caïds et un (e) VADS. Un luxe dans un pays pauvre comme le nôtre !
Ce dispositif qui se veut dissuasif, n’est hélas pas suffisant pour obliger des usagers au respect minimum du code la route. A commencer par les jeunes. Rien d’étonnant s’ils sont les plus exposés aux accidents mortels.
Selon le rapport 2017 de la Brigade nationale des sapeurs pompiers (BNSP), il s’est produit dans la commune de Ouagadougou 6452 accidents de la circulation routière contre 6845 en 2016, soit une baisse de 5,75%. Ces accidents ont fait 7137 victimes contre 7544 en 2016, soit une baisse de 5,39%.
Dans les détails, il apparaît que la tranche d’âge de 16 à 35 ans est la plus touchée par les accidents avec 4297 victimes, soit 60,20% du nombre total des victimes, contre 1716 victimes pour la tranche d’âge de 36 à 55 ans, soit 24,04% du nombre total des victimes. Selon toujours la BNSP, ces accidents sont causés par, le non-respect ou l’ignorance des règles de la circulation par les jeunes dont la plupart ne sont pas détenteurs de permis de conduire, leur fougue dans la circulation, la non-maîtrise du code de la route, l’acrobatie sur la voie publique, la consommation de l’alcool et des stupéfiants, etc.

En creux, ces chiffres alarmants révèlent aussi en grande partie l’irresponsabilité de certains parents qui dotent leurs gamins d’à peine 15 ans d’engins de gros cylindrés, comme ceux qui ont investi les artères de l’échangeur du Nord dès le lendemain de son inauguration.
Que faire pour stopper cette hémorragie ? Bien sûr, continuer les campagnes d’explication et de sensibilisation sur les dangers du non respect du code de la route.
Mais, le mal est si profond dans le Burkina post-insurrectionnel qu’il faut à présent changer de braquet : sortir la chicote et sévir. Contre les délinquants routiers, les pouvoirs publics doivent être impitoyables. Taper sur ceux qui mettent en danger la vie d’autrui en mobilisant tout l’arsenal policier et juridique pour les mettre hors d’état de nuire.
C’est dans la répression des instincts, écrit Freud, que se construisent les civilisations.

Joachim Vokouma
Kaceto.net