En dépit des nombreuses campagnes de sensibilisation, les mariages de mineures sont toujours légion dans notre pays, avec un niveau de gravité selon les régions. Le quarté perdant étant composé du Sahel, la Boucle du Mouhoun, les Hauts Bassins et le Centre-Est

Au Burkina Faso, 53% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 10% avant l’âge de 15 ans. L’âge moyen d’entrée en première union des femmes est estimé à 17,8 ans avec une minorisation plus prononcée dans la région du Sahel où l’âge moyen est de 16,1 ans (EDS de 2010).
En Septembre 2016, une étude sur le mariage d’enfants au Burkina a révélé que trois régions en plus de la région du Sahel, sont considérées comme ayant les plus forts taux en matière de mariage d’enfants. Il s’agit de la Boucle du Mouhoun, les Hauts Bassins et le Centre-Est. C’est fort de ce constat, que le ministère de la Femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire en collaboration avec le ministère de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales, dans le cadre du projet autonomisation des femmes et dividende démographique(SWEED), ont initié une caravane de presse au profit des journalistes afin que ceux-ci s’imprègnent des réalités dans ces zones.

Du 06 au 12 mai 2019, l’équipe caravanière était dans la région de la Boucle du Mouhoun. Constat. Le mariage d’enfants est un phénomène qui a la peau dure dans notre pays, particulièrement dans la Boucle du Mouhoun. A en croire le gouverneur de cette région, Edgard Sié Sou, le taux de prévalence se présente comme suit par province : 29% dans les Banwa ; 22% dans le Nayala, 17% dans le Mouhoun ; 7% dans les Balés.
Dans la province du Nayala, l’équipe caravanière s’est rendue dans deux communes, à Yé et à Gassan les 07 et 08 mai 2019 pour toucher du doigt les réalités.
Cinquième ville de la province du Nayala, les mariages précoces des jeunes filles font des ravages à Yé. " Effectivement les mariages précoces des jeunes filles est une réalité dans notre commune », a confié le premier adjoint au maire de la commune, Jean Gho, même s’il note une tendance à la baisse du phénomène. Selon lui, la tradition est coupable de cette situation. "Dès l’âge de 15 ans, les parents se disent que s’ils ne donnent pas leur fille en mariage, elle pourrait tomber en grossesse, ce qui constitue une honte pour la famille". Souvent, affirme le premier adjoint au maire, ce sont les filles elles-mêmes qui sont à la base de ce mariage, car « elles commencent les rapports sexuels très tôt, tombent en grossesse et sont donc obligées de rejoindre l’auteur de la grossesse quel que soit leur âge ».

Voici l’analyse du représentant de l’administration. Mais que pensent les populations du mariage précoce ? Peu de gens veulent s’exprimer sur le sujet. Les langues ne veulent pas se délier, surtout en cette période de Ramadan et sous une canicule qui met à rude épreuve les organismes. On finit par tomber sur des tisseuses de pagne Faso dan Fani qui acceptent de parler. Sarata* s’y lance. Elle a conscience que le mariage précoce est une réalité dans la commune, elle-même ayant été mariée quand elle était mineure, du fait d’une grossesse contractée à l’âge de 15 ans. Comme prise de remord, fuyant presque notre regard, elle confie que celui qui est devenu son mari était aussi mineur. " Quand nous nous sommes connus, nous avons flirté quelques temps et sans faire exprès, je suis tombée enceinte. J’ai décidé d’aller vivre avec lui pour ne pas honnir ma famille », confie t-elle, son petit ami étant cultivateur et elle en classe de 6è ! . « Très rapidement j’ai arrêté les cours pour être ménagère. Nous nous aimions donc, il n’y avait pas de raison que l’on ne vive pas ensemble. A cette époque, personne ne pouvait me conseiller car je ne savais malheureusement pas ce que je faisais », confesse t-elle, presqu’en larmes.
Aujourd’hui mère de trois enfants, Sarata regrette de n’avoir pas terminé ses études et d’avoir quitté l’école pour devenir une femme au foyer alors qu’elle avait "l’ambition de faire de grandes études et devenir quelqu’un dans la vie".

Sur le mariage précoce des jeunes filles, les camardes de Sarata ont également leur mot à dire. « On vit cela au quotidien ici à Yé », martèle Alima, qui estime que les parents sont en partie responsables de ce problème. « Lorsque les filles arrivent au secondaire et que les parents ne parviennent plus à payer leur scolarité, ils envisagent déjà le mariage pour elle. Souvent même, c’est pour ne pas payer les frais de scolarité que certains parents font ça", accuse t-elle.
Dans la commune de Gassan comme dans celle de Yé, le constat est identique.
Ici vivent majoritairement trois ethnies : les Daffin, les Bwaba et les Samo. « A Gassan, le mariage des enfants est lié à l’insuffisance d’information et souvent à l’ignorance », nous a confié le premier adjoint au maire de la commune, Tidiani Ouédraogo. « La mentalité des gens ici, c’est qu’une fille qui a déjà 15 ans et qui a la poitrine bien pleine est susceptible d’être mariée. On ne se soucie pas de son âge. Les gens ici n’ont pas la connaissance des textes », analyse t-il. Fait-il allusion aux leaders religieux, notamment les responsables de la forte communauté musulmane qui y vit ? Selon, l’imam du coin, El Adj Sidiki Demè, « dans la religion musulmane, lorsqu’une fille commence à voir ses premières règles, elle est susceptible d’être mariée ». Lorsqu’on lui rappelle que le mariage précoce est interdit par la loi et que celui qui l’enfreint encourt une peine d’emprisonnement, il marque son étonnement. La main sur le coeur, il dit qu’il ignorait cette disposition, n’en avait jamais entendu parler, ni à la radio, ni à la télévision ni par autres canaux.
Les journalistes enfilent alors la tenue de conseiller juridique et lui expliquent les dispositions législatives sur le mariage des mineures. L’imam et ses fidèles écoutent attentivement et à la fin de l’entretien, promettent abandonner cette pratique. Mieux, ils se sont engagés à diffuser dans les mosquées après la prière du vendredi, le contenu de la loi qui fixe à 18 ans l’âge du mariage des filles.
Après ces deux étapes, le cap a été mis sur Sanaba dans le Banwa et Bourasso dans la Koss. C’était les 9 et 10 mai dernier.

Dans la commune de Sanaba, l’équipe caravanière a visité le district sanitaire où des femmes et des jeunes y étaient venues pour recevoir des soins de dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus. C’est là que nous faisons la rencontre de Mireille, une jeune fille de 17 ans qui en parait moins. Elle a été donnée en mariage il y a un an à un homme qui avait déjà deux femmes. "J’étais en classe de CM2 quand je me suis mariée. Un jour, mon père a décidé que je n’irai plus à l’école et qu’il m’avait choisie un mari. Je n’ai pas protesté », raconte t-elle, trémolos dans la voix.
Lorsqu’on lui demande comment se passe sa vie de couple, la réponse tarde à venir. Gorge serrée, le regard perdu, elle finit par lâcher un "ça se passe bien !".
Dans la commune de Bourrasso à quelques kilomètres de la commune de Sanaba, au lycée départemental, fréquente une jeune élève de la classe de 5e du nom de Fatouma, sauvée de justesse d’un mariage forcé par le proviseur du lycée. Elle se souvient comme hier, comment les choses se sont passées. « Un jour, des gens ont apporté du sel et du sucre à la maison. Dans la tradition, cela signifie que c’est pour demander une fille de la cour en mariage. Lorsque j’ai vu ça et comme je suis la seule fille de mon papa, j’ai demandé à ma maman à qui ce sel et ce sucre était destiné. Elle m’a fait comprendre que ce n’était pas pour moi. Mes parents ont partagé le sel et le sucre aux voisins. Le 7 août 2018, des gens se sont présentés au domicile de mon père pour me demander en mariage ; je savais ce qui se tramait, mais je n’ai rien dit. Dix jours plus tard, les mêmes gens sont revenus pour m’emmener de force sur une moto. J’ai refusé, mais ma mère m’a obligée à partir avec eux. Ce que j’ai fait. Puis j’ai réussi à m’échapper quelque temps après et je suis venue me confier au proviseur de mon établissement qui a tout de suite alerté la préfecture », raconte Fatouma, toujours sous le choc. Elle a appris que l’homme auquel elle était destinée réside en Côte d’Ivoire et qu’elle devait le rejoindre sans tarder. Elle n’est toutefois pas au bout de ses surprises puisque les parents de son mari sont revenus à la charge, l’ont kidnappée pour l’accompagner chez son mari. Fort heureusement, la police a arrêté le "convoi" à la frontière avec la Côte d’Ivoire. Retour donc à la case départ. Furieux de l’affront que sa fille vient de lui opposer, son père la boude un bout de temps avant de lui intimer l’ordre de quitter sa cour. Des parents interviennent pour plaider, avec un laborieux succès, sa cause.
A Sanaba, le taux de grossesses précoces est devenu un sujet de préoccupation. Selon l’infirmier chef de poste du CSPS de la commune, Valentin Faho, il est enregistré environ 4 à 6 cas de grossesse précoce par semaine, l’âge variant entre 14 et 17 ans ». Il confie également qu’il y a parfois des complications dans la progression de la grossesse à cause du bassin peu développé des filles, des fistules ombilicales, des avortements involontaires, etc.

Selon Nathalie Ouédraogo, sage-femme du CSPS de Bourasso, plusieurs grossesses précoces y sont également enregistrées, la plupart étant des élèves dont l’âge varie entre 14 et 17 ans. "La plus jeune mère que j’ai reçu en consultation avait 14 ans", révèle la sage-femme, qui explique que cette dernière s’en est bien tirée parce que ça ne se passe pas toujours bien. Des complications surviennent "et il faut évacuer les patientes au CMA de Nouna pour une meilleure prise en charge parce que généralement, elles sont confrontées au problème de bassins immatures, donc incapables d’expulser l’enfant par la voie normale, sauf par césarienne », explique t-elle, avant de terminer : « Les conséquences de ces grossesses sont essentiellement négatives. Les jeunes filles s’en sortent avec des fistules obstétricales, un enfant mort née, etc ».
Quid de la responsabilité des hommes ?
A Sanaba, les hommes rencontrés accusent sans hésiter les filles qui seraient selon eux les seules responsables des grosseses précoces. « Nous savons qu’il est strictement interdit de sortir avec une mineure, mais souvent lorsque nous faisons la cour aux jeunes filles, nous n’avons pas le temps de verifier si elles sont majeures ou pas. En plus, lorsque tu veux connaitre l’âge d’une fille, elle te demande si c’est elle que tu veux ou bien son âge", se défend Amadou.
A Bondokuy, dernière localité visitée le 12 mai et située à environ 46 kilomètre de Dédougou, le chef de terre, Alphonse Tamini pense que la police devrait « corriger » les filles mineures qui n’ont pas encore l’âge et s’adonnent à des rapports sexuels.
« Je suis d’accord que l’on dénonce le mariage précoce des jeunes filles mais il faut aussi que l’Etat donne la force aux policiers pour corriger les jeunes filles qui s’adonnent aux actes sexuels précocement, car souvent c’est ce qui fait que les parents aussi leurs donnent en mariage très tôt pour ne pas qu’elles reviennent avec des grossesses », suggère-t-il.

* Tous les prénoms ont été changés.

Frédéric Tianhoun
Envoyé spécial