L’ancien opposant historique, président de la république depuis 2010, se trouve au carrefour de deux histoires : la sienne et celle de son pays. Après des années passées à subir, en tant qu’opposant, l’ire de ses deux prédécesseurs, Alpha Condé maintient le doute sur son désir de briguer un troisième mandat. A Conakry, beaucoup pensent qu’il prendra le même chemin que ce Lassana Conté qu’il a tant combattu.

Cette semaine, Amadou Damaro Camara, le chef de la majorité présidentielle au parlement, a annoncé l’intention du rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti au pouvoir, de modifier la constitution. Visiblement plein de bonnes intentions, le député a expliqué que le projet de modification visait à améliorer la constitution actuellement en place, pour créer des institutions plus fortes. « Il y a énormément d’améliorations que nous introduirons dans cette constitution. Elle pourrait changer le fonctionnement actuel de nos institutions. Nous avons plus d’institutions que l’Allemagne, ce qui est très coûteux. Ensuite, la constitution actuelle a été rédigée dans une période de transition. L’esprit dans lequel elle a été écrite prouve qu’elle ne pouvait être qu’évolutive et c’est cette évolution que nous essayons d’apporter », explique Amadou Damaro Camara.
Finalement, aucune mention ne sera faite de la possibilité pour le président Alpha Condé de briguer un 3e mandat, ou même de la possibilité pour lui d’être président à vie. Si le président, lui-même, ne se prononce pas encore sur la question, l’opposition, elle, lui prête des intentions. Et comme dans de nombreux pays, en Guinée, on ne prête qu’aux riches.

Une transfiguration inattendue

En 1970, personne n’aurait imaginé qu’Alpha Condé dirigerait la Guinée et encore moins qu’il serait soupçonné de modifier la constitution pour rester au pouvoir. Cette année-là, poursuivi par le régime du président Sékou Touré, l’intéressé est condamné à mort par contumace et contraint à l’exil.
Il se réfugie alors en France où, de ses propres aveux, il aurait été molesté par des racistes. Cet épisode explique peut-être sa relation compliquée avec l’Hexagone.
Finalement, de retour à Conakry, le 17 mai 1991, il est emprisonné pendant plusieurs mois par le président Lansana Conté, qui finira par modifier la constitution en 2001 pour obtenir un 3e mandat. On aurait imaginé que ces différents événements fassent d’Alpha Condé un fervent défenseur de l’alternance démocratique. Et pendant des années, l’intéressé a joué le rôle. Mais alors que son dernier mandat s’achève, les sirènes de pouvoir semblent s’attirer. « Personne en Guinée ne m’empêchera d’aller devant le peuple pour lui demander ce qu’il veut et faire la volonté du peuple », avait-il déclaré le mois dernier, cachant à peine son intention de faire amender la constitution par référendum.
Connaissant sa capacité à aller au bout de ses projets personnels, on a du mal à l’imaginer échouer. Lui, ne semble pas perturbé. « Ceux qui m’empêcheront de réussir ne sont pas encore nés », avait-il déclaré il y a 4 ans, durant la campagne électorale qui lui avait permis d’être réélu. Cette fois, l’arrogance n’est pas encore de sortie. Il faut encore passer par la case référendum pour rendre légales les ambitions de celui qui dirige la Guinée depuis 2010.

Un opposant historique

Pendant des années, Alpha Condé a été le visage de l’opposition. Sa lutte contre les régimes de l’époque a duré près d’un demi-siècle. D’ailleurs, beaucoup surnommaient le « Mandela guinéen » cet opposant ayant vécu en exil pendant 38 ans.
L’histoire d’Alpha Condé commence le 4 mars 1938 à Boké, en Basse-Guinée, où il voit le jour dans une famille de commerçants malinkés. Après de brillantes études primaires, il part pour la France à l’âge de 15 ans pour poursuivre ses études secondaires et universitaires. Il est alors inscrit au lycée Turgot de Paris, où il sympathise avec un certain Bernard Kouchner, avec qui il se lie d’amitié.
Après son baccalauréat, il poursuit ses études universitaires à la Sorbonne, où il obtient un diplôme d’études supérieures, avant de devenir docteur d’État en droit public.
Durant ses études universitaires, il intègre la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), d’où sont issus de nombreux nationalistes africains dans les années 60. Mais l’activisme politique du jeune homme ne fait pas encore de vagues. Après son diplôme, Alpha Condé enseigne à la faculté de droit et sciences économiques de Paris I Panthéon Sorbonne. En 1963, il devient président de la FEANF. A partir de ce moment, Alpha Condé commence à animer, depuis l’étranger, la vie politique de son pays. Petit à petit, il devient le symbole de l’opposition contre Sekou Touré, héros de l’indépendance qui basculera dans une dérive dictatoriale et ne laissera le pouvoir qu’à sa mort en 1984.

En 1977, il crée le Mouvement national démocratique (MND). Clandestin parce qu’illégal, pendant des années, le MND va subir plusieurs changements qui finiront par aboutir à la création du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), actuellement au pouvoir.

Le Mandela Guinéen

Condamné à mort et contraint à l’exil pendant des années, Alpha Condé rentre chez lui en 1991, après le décès de Sekou Touré. Seulement les choses ne sont pas plus simples. Lansana Conté qui a pris le pouvoir par putsch en 1984 et instauré le multipartisme, remporte les élections présidentielles de 1993 auxquelles participe Alpha Condé. Les résultats sont fortement contestés. Les partisans d’Alpha Condé s’insurgent particulièrement contre l’annulation des résultats pour les préfectures de Kankan et Siguiri, où il était vraisemblablement fortement majoritaire. Finalement Alpha Condé décide de calmer le jeu pour éviter une guerre civile.

En 1998, il se présente de nouveau mais il est arrêté et emprisonné, alors qu’il tente de quitter le territoire guinéen avant la fin du scrutin. Lansana Conté remporte les élections au premier tour. Deux jours après le scrutin, plusieurs dirigeants de l’opposition sont arrêtés pour préparation présumée d’une rébellion contre le régime en place. Une longue période de répression suivra ces événements.
Pendant ce temps, Alpha Condé passe près de 2 ans en prison avant que le gouvernement ne constitue une cour spéciale pour le juger. L’incarcération sans procès est condamnée par les organisations de défenses des libertés individuelles comme Amnesty International. A cette époque, Alpha Condé est député et bénéficie, en principe, de l’immunité. De nombreuses manifestations sont organisées pour demander sa libération. Les gouvernements français et américains s’impliquent. Malgré la pression internationale, Alpha Condé est condamné, en 2000, à cinq ans de prison pour « atteintes à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national » . Il sera finalement libéré en 2001 par grâce présidentielle.
De 2001 à 2008, il s’applique à fédérer le plus de Guinéens possible. Il joue de son image de symbole et de presque-martyr pour devenir le visage de l’opposition. Il accuse ceux qui s’opposent à ce statut de collaborer avec le président Lansana Conté. La stratégie est payante. A la mort de Lansana Conté en 2008, tout semble prêt pour qu’Alpha Condé prenne le pouvoir. Mais l’opposant devra attendre un intermède armé mené par la junte militaire de Moussa Dadis Camara. Finalement, des élections libres auront lieu en juin 2010. Alpha Condé les remporte face à l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo. Il promet une nouvelle ère et veut rassembler une Guinée désunie, comme Nelson Mandela en Afrique du Sud. Un an après son élection, il échappe à une tentative de coup d’État dans laquelle une partie de sa résidence est détruite par une roquette.

Un an après son élection, il échappe à une tentative de coup d’État dans laquelle une partie de sa résidence est détruite par une roquette.

Devenir ce qu’on a combattu

Lors de son premier mandat, Alpha Condé s’applique à correspondre à l’image de changement qu’il prône. Il inaugure le barrage hydroélectrique de Kaléta, construit des routes et améliore les infrastructures. « Malgré Ebola […], demandez au peuple de Guinée ce que nous avons fait en cinq ans quand les autres ne l’ont pas fait en cinquante ans. Posez la question dans la rue », lance-t-il durant la campagne électorale de 2015.
Malgré le fait qu’un Guinéen sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté et que finalement, seulement 26% de la population ait accès à l’électricité, Alpha Condé est réélu. Il faut dire que l’économie du pays va clairement mieux. Mais la côte de popularité du président n’est plus la même. Le train de vie de son fils, Mohamed Condé, est dénoncé par les médias. Malgré cela, d’après certains de ses partisans, il aimerait continuer son œuvre. Mais, de son côté, l’opposition réclame une alternance.

A quelques mois des élections de 2020, Alpha Condé se trouve à un carrefour de l’histoire de son pays. Et il lui revient de choisir quelle direction il entend lui faire rendre.

Servan Ahougnon
ECOFIN