Pour le philosophe et analyste politique, Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè, les élus et les gouvernants doivent "être dans une insatisfaction permanente face à l’acharnement du destin malveillant induit par la mondialisation néolibérale aux mains des oligarchies financiarisées", si tant est que le bonheur de leur peuple guide leur engagement.

Il y a ce remue-ménage politique transi par les tensions entre communautés, ce vrombissement des ego et cette vieille classe politique ivoirienne, tantôt dans l’insolite, tantôt dans le désinvolte lors même que servir l’intérêt national et l’intérêt de la règle de droit pour tous présupposent que ces personnalités ne s’ignorent pas. Pour autant, nous sommes bien loin de la tyrannie qui dérive de la monarchie pour saluer un tyrannicide que le républicain Cicéron consacrait comme noble au sens où il libère l’Humanité de la « cruauté d’une bête sauvage ». La rupture des alliances politiques entre Houphouëtistes du pouvoir et d’opposition est certes un événement. Mais il échoue à être l’avènement pivotal. Il n’est pas demandé aux politiques ivoiriens de s’offrir par charité au bien commun, la république. Le journaliste polonais Maximilien Kolbe l’a fait à la place d’un prisonnier comme lui aux mains des nazis à être fusillé alors même qu’il venait d’être père d’un nouveau- né en 1941. Certain que ce geste fort de Maximilien Kolbe est en soi un apophtegme pour l’engagement héroïque. Une identité de soi qui se fond dans le corps d’autrui pour rappeler le destin humain qui a rejeté le chemin de l’ignorance de l’autre, son mépris et sa ruine pour rassembler les citoyens au-delà de leurs opinions divergentes. Dans la République décente, dans le geste quotidien, dans notre engagement solidaire, l’autre citoyen africain, son bien-être est le sujet propre. C’est cet affamé, cet étranger, le nu, l’assoiffé, le prisonnier, le malade, c’est-à-dire le moi dédoublé. Leur droit à la vie, les laisser vivre et vivre soi-même, la patience et la douceur, la compassion et le don de soi sont des vertus cardinales pour le vivre ensemble durable.
Pour mieux combattre par les politiques publiques, les injustices et inégalités effarantes, les politiciens qui sont des citoyens munis de mandats de représentation doivent, en incarnant ces vertus, être dans une insatisfaction permanente face à l’acharnement du destin malveillant induit par la mondialisation néolibérale aux mains des oligarchies financiarisées.
Le peuple africain ne demande pas à ses serviteurs politiques d’accomplir le geste de Maximilien Kolbe. Il attend, si vous me permettez, que les politiques sortent de la compromission, des deals sordides et opportunistes, de l’idiot court-termisme, bref, sortir de la corruption pour servir le bien commun : la république égale, sociale et décente. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas pratiquer la vertu dans un milieu corrompu. D’où cet appel à réincarner l’ascèse personnelle à l’excellence morale, un supplément d’âme d’autant plus que sur tous les sujets politiques querellés (constitutionnels et /ou institutionnels, droits démocratiques, questions électorales et de réconciliation, droits des oppositions politiques et politiques publiques idoines) actuellement en Côte d’Ivoire comme en Guinée, il n’y a pas de consensus qui se profile. Les simulacres et grotesques mises en scène interlocutoire des politiciens sont lourds de conséquences pour la cohésion nationale. Il est connu de tous les démocrates lucides et humanistes que les passages en force ont des coûts humains trop élevés pour le citoyen africain. Etre en mesure de construire un consensus présuppose une denrée nécessaire : la tolérance. Le philosophe Jankélévitch la définissait comme une vertu à destination d’un monde désuni, un monde où les hommes s’ignorent. La tolérance qui a reçu ses lettres de noblesse en Angleterre au 17e pour connaître son plein épanouissement au siècle des Lumières, le 18e siècle européen avec le philosophe Voltaire. Cette vertu préalable à la pratique de toutes les autres en société, est aussi de pratique maintes fois millénaires en Afrique (les opinions libres avec l’arbre à palabres comme instance de délibération, le foisonnement des religions, rites et cultes, le roi soumis à la royauté, lien avec la sagesse des ancêtres…).
D’hier à aujourd’hui, la tolérance est centrale. Puisqu’elle assure le remplissement des conditions minimum indispensables à l’exercice des droits démocratiques, des droits sociaux et le non étouffement des individualités émergentes, des opinions libres même fausses et des choix divergents. La tolérance est tellement coexentsive à la démocratie que certains en viennent à l’identifier à la démocratie. Pourquoi ? Parce que comme le pensait J.S. Mill, les opinions même fausses doivent être tolérées et diffusées. De la sorte il est permis à la vérité de la rattraper et de la ruiner au sein des sociétés ouvertes. Les sociétés humaines progressent de la sorte pour leur bonheur.
Il y a quelques jours, le Président Bédié a établi ce lien insolite entre étrangers armés stationnés à Abobo et orpaillages, pour laisser entendre en sourdine qu’ils pourraient constituer la milice des Houhpouëtistes du pouvoir RHDP. Le fait que le gouvernement RHDP a renoncé à judiciariser son énoncé est une sagesse. Puisque chaque citoyen pourra se faire sa propre opinion dans cette société ouverte ivoirienne s’il y a haine de l’étranger, aversion des autres, confusion entre l’échec de la gouvernance du secteur des mines depuis les indépendances africaines et l’extranéité clandestine et criminelle des orpailleurs. Je sais, citoyen africain, que depuis les mines d’or du Bambouk, du Bouré du temps de Mansa Soundiata Kéïta, d’ailleurs dès le 11e siècle jusqu’à nos jours, la ruée vers l’or du bassin ouest-africain est la même avec la vitalité de l’orpaillage, le rêve fou de l’enrichissement soudain, la vraie manne des populations délaissés. Ce bassin va de la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso au Mali. Les mines industrielles rapportent quoi à la trésorerie de ces Etats et au développement des infrastructures pour les riverains ? Le Burkina Faso produit près de 50 tonnes d’or par an avec 10 mines industrielles et l’orpaillage. L’orpaillage légal ou clandestin rapporte peut-être plus aux citoyens directement que les mines industrielles. Oui l’orpaillage utilise le cyanure et le mercure, des calamités pour la santé et l’environnement. La puissance publique est interpellée. Mais les ressources naturelles sont la richesse accessible directement aux peuples africains. Il n’est donc pas sain d’ostraciser les orpailleurs comme milices des politiciens. La richesse et le développement sont endogènes par et pour les citoyens africains.
Le Président du Ghana, Monsieur Nana Akufo-Addo tant adulé par les jeunesses africaines, l’a si bien compris aux côtés de son homologue français le Président Emmanuel Macron recevant les diasporas africaines à l’Elysée le 11 juillet 2019 qu’ « Il n’y a que nous qui pouvons développer notre continent ».
On doit disposer pleinement et utilement de nos ressources naturelles et compétences pour la croissance endogène. Quant aux problèmes environnementaux induits par l’orpaillage avec l’utilisation des liquides toxiques comme le cyanure et le mercure, la circulation des armes moyen calibre pour se protéger des mafias de la paresse et le fait que de janvier à juillet, les paysans délaissent les cultures vivrières, là encore, les Etats ont administré la preuve de la limite de leurs politiques publiques sectorielles. Il n’y a donc aucun lien entre orpaillage et milices armées urbaines entretenues. Si ce lien était démontré, c’est la classe politique dans son incurie qui est administrée. Les populations qui s’adonnent à l’orpaillage poursuivent de plein droit et librement leur bonheur. Les gouvernements les accompagnent en les réglementant. C’est leur rôle régalien. Les peuples africains ont, quant à eux, le droit absolu à la pleine jouissance des richesses naturelles de leur sol. Le peuple est demos et non pas ethnos. Il faut donc travailler sur les chantiers de l’égalité citoyenne et de l’état de droit. Ce sont là les urgences nationales pour aller à l’intégration économique avec l’avènement de la phase opérationnelle de la ZLECA.
Ni le néolibéralisme utilitariste, ni les débris du nationalisme abscons. La vertu ivoirienne et au-delà des autres peuples africains, quant au respect du droit individuel, des droits de l’hospitalité, des droits des accueillis et des accueillants, qui ont fait de la Côte d’Ivoire, une terre de progrès social pour tous et d’abord pour les Ivoiriens et Ivoiriennes. L’houphouëtisme d’opposition se trompe en ne parlant pas d’avenir, en ne présentant pas son offre pour relancer l’espoir. Les Soroïstes sont donc les seuls à défendre l’égalité citoyenne pour relancer l’espoir et restaurer le capital social ivoirien au moyen de la réconciliation et ils défendent le processus démocratique au nom du progrès social pour tous. Puisque seul l’état de droit est l’horizon d’attente des nouvelles générations africaines solidaires. La question simple revient aux Houphouëtistes du pouvoir et d’opposition. Comment peut-on être houphouëtiste tolérant et ouvert hier et intolérant abscons aujourd’hui ? La détention ou la quête du pouvoir d’Etat ne vaut par l’élégance démocratique.
La décence républicaine interpelle chacun des acteurs de sortir des tentations du dégagisme ambiant versus de confiscation. Seule la soumission à l’état de droit et à la règle de droit sont de vrais caps de progrès social pour chacun. Il est donc républicain de jouer à fond, la concorde nationale, la réconciliation, le respect strict du processus démocratique comme multipartisme de vitalité conquis de haute lutte pour le bien de tous. De la sorte, le traitement différencié de l’échec des politiques publiques sectorielles gagnera en clarté, de même que la nécessité de prendre en compte, l’intersectionnalité comme genre, parité et participation démocratique des citoyens, des minorités et marginalités sociales. Oui à l’état de droit, le mantra des vagues montantes.

Mamadou Djibo Baanè-Badikiranè
Kaceto.net