Huawei, Tecno, Samsung… les projections de croissance de l’industrie de la téléphonie mobile, au cours des prochaines années, indiquent que l’Afrique subsaharienne sera au centre de la prochaine révolution dans le secteur. Une manne que l’industrie africaine va devoir apprendre à saisir.

Une croissance fulgurante à fort impact socio-économique

En 2012, l’Afrique subsaharienne ne comptait que 287 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, soit un taux de pénétration de 32%. D’après la GSM Association (GSMA), ce chiffre est passé à 456 millions d’abonnés uniques à la fin de 2018, soit une augmentation de 20 millions par rapport à l’année précédente et un taux de pénétration de 44%. L’institution indique également que la région continuera d’afficher le taux de croissance le plus élevé dans le secteur, avec un taux de croissance annuelle composé (TCAC) de 4,6% et 167 millions d’abonnés supplémentaires, d’ici 2025. Ceci portera le nombre total d’abonnés à environ 623 millions, soit environ la moitié de la population du continent, pour un taux de pénétration de 50%.

En 2025, l’Afrique subsaharienne comptera 167 millions d’abonnés en plus.

Cette situation sera favorisée, entre autres, par le boom démographique qu’enregistre le continent africain depuis plusieurs années. Les données indiquent par exemple que, d’ici 2025, la croissance de l’industrie de la téléphonie mobile en Afrique sera portée par le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, qui devrait enregistrer plus de 31 millions de nouveaux abonnés uniques sur la période.

Un nombre d’abonnés qui permettra d’ailleurs à la CEDEAO d’être la communauté économique enregistrant le plus fort taux de pénétration sur le continent, soit 54%, contre un taux actuel de 48%.

« Aux alentours de 2023, la contribution de l’industrie mobile atteindra près de 185 milliards dollars (9.1% du PIB) »

Ce dynamisme profite aux Etats qui voient dans le secteur un véritable levier de croissance économique. D’après la GSMA, en 2018, les technologies et les services de téléphonie mobile ont généré 8,6% du PIB en Afrique subsaharienne. Une contribution en matière de valeur économique ajoutée qui s’évaluait à près de 144,1 milliards de dollars, avec plus de 39 milliards $ de contribution directe. L’année dernière, près de 15,6 milliards $ ont été collectés en taxes et impôts par les Etats, auprès des entreprises du secteur des smartphones.

« Aux alentours de 2023, la contribution de l’industrie mobile atteindra près de 185 milliards dollars (9.1% du PIB), sachant que les pays continuent de bénéficier des améliorations en matière d’efficacité et de productivité, induites par l’utilisation accrue des services mobiles », a indiqué la GSMA.

En dehors de ces contributions, le secteur emploie des millions d’individus sur le continent, contribuant ainsi à baisser le taux de chômage. L’écosystème mobile a ainsi fourni, en 2018, près de 3,5 millions d’emplois (directs et indirects). Même si 70% de ces emplois (1,2 million) ont été créés dans le secteur informel, cette performance dénote de la forte capacité de ce secteur à trouver des solutions au problème du chômage qui mine de nombreux pays du continent.

Malheureusement, si l’explosion du secteur de la téléphonie mobile en Afrique subsaharienne a permis à la région de doper sa croissance et de créer de nouveaux emplois, elle a également entraîné une polarisation du marché, les entreprises locales africaines subissant très tôt la concurrence implacable des compagnies étrangères.

Des acteurs majoritairement étrangers

Alors qu’elle est la première productrice mondiale de cobalt (élément essentiel entrant dans la fabrication des smartphones), l’Afrique subsaharienne a longtemps été quasi inexistante en matière d’offre sur son propre marché de téléphonie mobile. Le dynamisme du secteur a entraîné l’arrivée sur le continent de nombreuses entreprises internationales.

D’après les statistiques, celles-ci représentent d’ailleurs, aujourd’hui, les principaux fournisseurs du marché de l’Afrique subsaharienne des smartphones, au détriment des entreprises locales qui se sont rapidement fait distancer par les poids lourds asiatiques, américains et européens.

D’après l’International Data Corporation (IDC), le top 3 des fournisseurs de smartphones en Afrique est composé d’entreprises asiatiques. Au deuxième trimestre 2019, l’institution indique que les entreprises Transsion (distribuant les marques Tecno, Infinix et Itel), Samsung et Huawei ont été les leaders du marché des smartphones en matière de volume des livraisons, avec des parts de marché respectives de 37,4%, 27,4% et 8,7%. A elles trois, ces sociétés représentent plus de 73,5% de la part de marché des smartphones en Afrique.

Sur le plan des revenus tirés de la vente de ces appareils en Afrique, on retrouve les trois mêmes sociétés. Cette fois-ci, c’est le coréen Samsung qui vient en tête avec 40,3% des revenus du secteur au deuxième trimestre 2019, suivi de Transsion (21,9%) et de Huawei (12,2%).

Ces trois firmes totalisent ainsi 74,4% des revenus du secteur de la téléphonie mobile en Afrique.

Les entreprises locales africaines ont subi très tôt la concurrence implacable des compagnies étrangères.

Cette prédominance des entreprises étrangères, si elle fournit des devises au secteur public grâce aux taxes et impôts, crée un véritable manque à gagner pour le secteur privé africain et donc pour l’économie du continent en général.

L’émergence de nouveaux acteurs locaux

Pour autant, on a assisté, ces dernières années, à l’émergence de nouveaux acteurs locaux. De plus en plus d’entreprises africaines essayent de promouvoir le « made in Africa » pour se tailler une part du gâteau. L’entreprise VMK du Congolais Vérone Mankou, ou encore le groupe botswanais DITEC Mobile font partie des nouvelles firmes africaines qui essayent de concurrencer les grandes marques étrangères.

L’entreprise VMK du Congolais Vérone Mankou tente de s’imposer sur le marché africain.

En 2017, l’entreprise SICO Technology lançait le tout premier téléphone portable fabriqué en Egypte, avec pour objectif d’écouler environ 1,5 million de ces appareils dans le pays en 2018. En août dernier, la société signait un accord pour l’extension de son usine de production de smartphones et de tablettes intelligentes dans le parc technologique d’Assiout en Egypte. Certaines entreprises africaines envisagent même de sortir du giron continental pour conquérir de nouveaux marchés, à travers le monde. L’année dernière, le groupe Condor de l’algérien Abderrahmane Benhamadi, indiquait par exemple qu’il ambitionnait d’écouler deux millions de ses smartphones en France, d’ici fin 2019, soit 10 % du marché.

Avec le développement de la connectivité en Afrique subsaharienne, marqué par un taux de pénétration de l’internet de 23% en 2018, et projeté pour atteindre 39%, d’ici 2025 (source : GSMA), les experts indiquent que le besoin des populations en moyens de communication plus adaptés et surtout abordables, en ce qui concerne le coût, devrait croître considérablement. Une opportunité pour les marques « made in Africa », dont le principal avantage concurrentiel est de proposer des appareils à des coûts généralement moins élevés que ceux des entreprises étrangères.

« Les sociétés africaines de téléphonie mobile grignotent peu à peu, dans leur pays d’activité, une part de marché stratégique [segment des smartphones, NDLR], celle de la population à petit revenu, écartée de facto par les grands constructeurs, avec leurs tarifs élevés », commentait à cet effet Muriel Edjo, spécialiste des télécommunications à l’Agence Ecofin.

Agence ECOFIN