Alors que ces dernières décennies ont vu l’explosion du commerce international des produits agricoles grâce au relâchement des tarifs douaniers, certains goulots d’étranglement freinent toujours la progression des échanges du continent avec le reste du monde. Parmi ceux-ci, figurent les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS). Ces mesures sont devenues au fil des années, le nouveau chemin de croix de nombreux exportateurs sur le continent africain.

D’après l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les mesures phytosanitaires et sanitaires (SPS) sont des dispositions qui touchent notamment à la qualité, à l’hygiène et au processus de production des denrées agricoles. Elles peuvent aussi concerner l’évaluation de la conformité des produits agricoles, notamment les tests, l’inspection, la certification et la traçabilité.

Elles sont généralement imposées par les pays importateurs de denrées agricoles pour assurer la protection contre les risques touchant la santé des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux.

Un pays peut, par exemple, interdire l’importation de volailles en provenance d’une nation ou d’une région frappée par la grippe aviaire, ou exiger des mesures de quarantaine pour les produits, une semaine avant l’entrée sur son territoire pour limiter une éventuelle propagation des parasites.

Ayant longtemps été dans l’ombre des mesures plus classiques comme les droits de douane et les taxes, l’importance des mesures SPS s’est considérablement accrue ces dernières années. Face aux besoins des consommateurs en matière de salubrité et d’information par rapport à l’origine des aliments, les règlements encadrant les importations de denrées agroalimentaires sous forme brute ou transformée se sont renforcés. Ceux-ci portent entre autres sur les questions relatives à l’utilisation des pesticides et de produits chimiques, dans la production et la transformation, les contaminants microbiologiques ou les parasites agricoles (agents pathogènes et insectes).

Des mesures lourdes et complexes

Afin d’élaborer ces normes, de nombreux pays s’alignent généralement sur les normes internationales, notamment celles fournies par le Codex Alimentarius, recueil qui garantit la sécurité des aliments en vue de leur commercialisation internationale. Toutefois, dans la pratique, les stratégies et les exigences spécifiques peuvent varier d’une région à une autre voire d’un pays à l’autre. « L’approche de l’Union européenne est basée sur le principe de précaution, c’est-à-dire que la charge de la preuve pour la sécurité des denrées alimentaires incombe à celui qui propose les produits sur le marché. Cela contraste avec l’approche américaine, qui autorise tous les produits sur le marché à moins que l’on ne démontre leur dangerosité », indique le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA).
Pour de nombreux acteurs, se conformer aux normes SPS reste un véritable parcours du combattant. Et pour cause, cela implique souvent un nombre élevé de documents à produire ainsi que des frais supplémentaires pour répondre aux exigences. « Nos partenaires nous imposent différentes normes d’hygiène. Nous devons utiliser de l’eau potable pour arroser les plants et l’eau doit être testée par un laboratoire pour des analyses bactériennes et chimiques. Les normes sont très strictes », confie au Centre du commerce international (ITC), un exportateur sénégalais de fruits et légumes vers l’UE.

D’après une étude de l’institution sur les mesures non tarifaires dans divers pays d’Afrique, les entreprises l’agroalimentaire pâtissent des exigences en matière de certification imposées par les pays partenaires commerciaux. Cette certification, preuve de la conformité des produits à des normes et conditions, reste un véritable obstacle pour de nombreux entreprises en raison du manque d’infrastructures dans des nombreux pays.
Dans le cas où les infrastructures existent, les procédures restent chronophages. En effet, l’obtention d’un certificat phytosanitaire implique souvent la participation de plusieurs institutions pour rassembler toute la documentation. Même quand les produits disposent d’un certificat phytosanitaire national, les partenaires commerciaux ne reconnaissent pas parfois les documents délivrés. « Nous sommes très souvent confrontés à des problèmes phytosanitaires car les mangues ne sont pas souvent ou très peu traités au Mali. Une fois la marchandise en France, le certificat établit au Mali n’est pas reconnu. On paye 32 euros par palette pour la vérification et l’établissement d’un nouveau certificat », estime pour sa part, un expéditeur de mangue vers l’UE.
Dans le chapitre de la conformité des produits, les limites maximales résiduelles (LMR) et les niveaux de tolérance d’organismes nuisibles (ON) font partie des normes les plus redoutées. Et pour cause, elles sont parfois nettement plus rigoureuses que celles prises en compte par le Codex Alimentarius. En outre, elles contraignent les exportateurs à revoir de fond en comble tout le processus de production, voire de remonter en amont au niveau de l’acquisition des produits chimiques comme les pesticides.
Au niveau du Royaume-Uni par exemple, les échantillonnages aux points d’entrées se sont accrues ces 5 dernières années, « entraînant des coûts de laboratoire tellement élevés par unité de volume que les exportations en deviennent non viables d’un point de vue commercial », souligne le CTA.
Pour les acteurs qui ne se conforment pas à ces normes, la menace pour les exportations est réelle. Au mieux, les entreprises s’en sortent avec des interceptions aux points d’entrée. Au pire, elles peuvent essuyer des refus à l’exportation en vertu de la règle des « cinq avertissements » de l’UE. Celle-ci stipule qu’après cinq interceptions de produits infectés par les services d’inspection, une interdiction d’importation spécifique à un pays peut être introduite.

D’importantes pertes d’opportunités commerciales

De nombreux pays africains ont souffert ces dernières années des mesures SPS, soit en terme de pertes de recettes, soit en matière de coût d’adaptation. Le Ghana a été notamment interdit d’accès au marché européen pour ses fruits et légumes ente 2015 et 2017 après la détection d’organismes nuisibles dans des cargaisons. Cette restriction des exportations a freiné l’industrie horticole qui enregistrait alors une croissance de 10 % par an. D’après les estimations du gouvernement ghanéen, cet épisode a coûté 36 millions $ à l’industrie horticole.

Du côté de l’Afrique du Sud, le Département américain de l’agriculture (USDA) estime que la filière agrumes doit supporter un coût supplémentaire de 1,8 milliard de rands (129 millions $) pour que ses exportations répondent aux exigences de l’UE sur la maladie des taches noires (CBS). Ce montant représente près d’un quart des recettes tirées annuellement par la Nation arc-en-ciel de ses exportations d’agrumes vers le vieux continent (7 milliards de rands).

Les mesures SPS si elles ne sont pas respectées empêchent parfois de tirer pleinement profit des privilèges accordées par les préférences comme l’AGOA et l’initiative « Tout sauf les armes » (TSA).

La nécessité de s’adapter pour rester compétitif

La conformité aux normes SPS pose de nombreux défis, aussi bien techniques que financiers pour de nombreux pays africains. Même si la diversification peut sembler une alternative aux contrôles de sécurité des denrées alimentaires de plus en plus stricts de certains marchés comme l’UE, elle reste compliquée pour de nombreux pays.

Ceci notamment en raison de l’intensification de la concurrence sur ces marchés mais aussi en raison des défis logistiques. En réalité, il reste difficile d’échapper aux normes SPS car elles sont sine qua non afin que les exportations puissent avoir lieu. Si de nombreux acteurs taxent ces mesures protectionnisme commercial sous un autre nom, des reformes restent inévitables pour tirer son épingle du jeu.
Plusieurs leviers existent pour permettre aux pays africains de répondre aux normes SPS. Certains experts préconisent notamment un renforcement de la collaboration entre le secteur privé et public. Cette collaboration peut prendre la forme de campagnes de sensibilisation sur l’importance des questions SPS et d’appui aux entreprises dans leur prise en compte, le long du processus de production.
Des pays peuvent également intégrer, dans le cadre de programmes de promotion des exportations, un regroupement de l’offre auprès des petits exportateurs afin de minimiser les coûts imposés pour les inspections. D’après l’ITC, les gouvernements peuvent également initier un cadre de concertation et de mise en cohérence des activités des diverses agences de certification.

Il importe en outre de dépasser une conception de l’agriculture qui envisage la production, la transformation ou le conditionnement des denrées comme des activités isolées et de s’inscrire dans la nouvelle dynamique mondiale. Celle-ci imposent notamment la nécessité aux exploitants de s’intégrer à des chaînes de valeur au sein de laquelle la traçabilité est cruciale. Cette vision peut aboutir à l’émergence d’entreprises verticalement intégrées ayant des relations d’approvisionnement direct aux détaillants et diffusant des exigences à l’ensemble de leurs fournisseurs.
Une autre piste est la collaboration régionale, dans le cas où des contraintes rencontrées sont régionales. Un exemple de ce type de collaboration est illustré dans le cas de la mouche des fruits qui affecte la filière mangue en Afrique de l’Ouest. Les pays affectés de la région ont notamment lancé, avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD) et de l’UE, un projet régional de lutte et de contrôle de l’insecte. Appliquée depuis 2014, cette initiative d’un coût de 23,5 millions d’euros a notamment permis au Burkina Faso, d’améliorer ses exportations du fruit. Le pays, second exportateur de la région a vu ses expéditions de fruits plus que doublé en 2018, à 200 000 tonnes avec une réduction sensible des interceptions de ces cargaisons.

Espoir Olodo
Agence ECOFIN