Certains pays occidentaux sont vraiment de mauvaise foi quand ils traitent nos pays d’« États faillis, fragiles, vulnérables, déliquescents » … de « shithole countries » … Comme s’ils n’avaient rien à voir avec cet état de fait. Je n’ai pas écrit cet article pour déresponsabiliser un pays comme le Burkina Faso qui fait face à une situation sécuritaire difficile depuis 2015. Mon intention est d’essayer d’expliquer que ce qui nous arrive est dû à un enchaînement de circonstances.

La myopie stratégique (préméditée ou pas) des institutions de Brettons Woods explique en partie leurs résultats mitigés dans bon nombre de pays, préoccupées qu’elles étaient par l’universalisation du libre-échangisme et du « turbo-capitalisme ». Il s’agit également d’une surprise stratégique pour nos États qui n’ont pas anticipé sur les conséquences de la camisole de force que leur ont fait porter les institutions de Brettons Woods. Étaient-ils encore maîtres de leur destin ?
Le Fonds monétaire international (FMI) fut créé afin de constituer avec la Banque mondiale, un des piliers du système monétaire mondial, à savoir le système de Brettons Woods, en vigueur de 1946 à 1973. Porté sur les fonts baptismaux conformément aux plans de l’économiste américain Harry Dexter White, ce système devait assurer des taux de change stables entre les monnaies nationales et, en même temps, permettre de larges augmentations de la masse monétaire mondiale.
Les Accords de Brettons Woods ont été abolis unilatéralement par les États-Unis en août 1971, mais le FMI et la Banque mondiale ont survécu au système dans le cadre des Programmes d’ajustement structurel (PAS) appliqués dans les pays en en voie de développement à la suite de la crise de la dette du tiers-monde des années 1980.
La notion d’ajustement structurel, appliquée aux pays en voie de développement, est étroitement liée à la spirale infernale de l’endettement international, ainsi qu’à la crise de paiement qui l’a suivie. Face à l’ampleur du phénomène d’insolvabilité, les bailleurs de fonds internationaux, notamment le FMI et la Banque Mondiale, avaient décidé d’exiger des pays emprunteurs de s’engager à prendre des mesures économiques et financières radicales, pour parvenir à dégager des excédents financiers et rembourser leur dette extérieure.
Les PAS, qualifiés généralement de thérapie de choc, sont un ensemble de mesures d’ordre monétaire, budgétaire, fiscal et commercial comprenant généralement les mesures suivantes :
 la réduction du déficit budgétaire ;
 l’adoption du régime de change flottant ;
 la libéralisation du commerce international en réduisant les barrières protectionnistes
 l’élimination des contrôles de prix (plafond et plancher) ;
 l’élimination des subventions ;
 la privatisation des entreprises d’État ;
 l’adoption d’un cadre légal favorisant le respect au droit de propriété privée ;
 la réduction de l’ampleur de la bureaucratie et de la corruption.

La publication du socio-économiste Sayouba Tiemtoré intitulée Réflexions sur les PAS au Burkina Faso explique comment le Burkina Faso est allé aux Programmes d’ajustement structurel (PAS) et souligne qu’ils ont servi de boussole pour l’action des gouvernements qui se sont succédé depuis le président Blaise Compaoré.
Censés redonner un nouvel élan économique aux pays sous-développés selon le socio-économiste, les PAS, malgré les différentes mutations successives, sont loin d’avoir tiré ces pays d’affaire.
Pour ce qui concerne les forces armées du Burkina Faso, les injonctions des institutions de Brettons Wood consistaient à revoir les dépenses liées à la défense :
 arrêt du recrutement ;
 dépenses gelées à leur niveau de 1991 ;
 le génie militaire, la gendarmerie, le service de santé et l’armée de l’air sont chargés de renflouer les caisses de l’État.

Toutes ces mesures vont avoir des conséquences structurelles sur les capacités et l’opérationnalité des forces armées nationales. Dans une tribune, le colonel Louis Joanny Yaméogo, Commandant en Chef du Haut Commandement des Forces Armées Populaires (du 20 septembre 1989 au 30 décembre 1991) révèle : "J’ai trouvé 10 avions de combat Marchetti, et j’ai proposé l’opérationnalisation de ces avions. Le président a accepté. Quand le programme a commencé, l’attaché militaire français est venu me voir en disant : si vous continuez ce programme, je ne prends plus en charge la révision de vos deux avions de transport. J’ai répondu que nous le ferons nous-mêmes. Il s’est énervé et a quitté mon bureau. Quelques deux jours plus tard, le président m’a appelé. Annule le programme des pilotes de combat. Et il a raccroché immédiatement".
Cela veut tout dire. Sous couvert du redressement économique, nous pouvons entrevoir dans l’anecdote des desseins inavoués dont le plus évident est la « décapacitation » de la défense nationale et l’assujettissement de notre souveraineté en dépit de nos accords de coopération militaire et de défense.
Aujourd’hui, ces mêmes pays qui depuis que le Burkina Faso traverse une situation sécuritaire difficile, nous traitent de tous les noms d’oiseau, prennent même un certain malin plaisir à peindre notre pays avec toutes les couleurs inimaginables, ne sont pas étrangers à nos « insuffisances » actuelles. Ils y ont même contribué. Et après, c’est pour nous tendre la main, soi-disant pour nous aider à nous défendre, faire comme s’ils étaient plus concernés par notre sécurité que nous-mêmes.
Pour des raisons liées à la conservation du pouvoir, on peut également attester que le pouvoir en place à l’époque n’a jamais voulu d’une armée qui puisse présenter une menace quelconque pour ses intérêts. Il est de notoriété publique que depuis l’avènement du Front populaire le 15 octobre 1987, la tentative de coup d’État a été considérée comme la plus grande menace pour le régime d’alors.
Tous ces facteurs expliquent la situation difficile des forces armées nationales et nécessite aujourd’hui des investissements conséquents pour le recrutement, la formation, l’entrainement et l’acquisition de moyens performants.
Il n’y a pas d’autres voies en dehors de l’autonomie et de l’indépendance pour que nous puissions nous aussi avoir une place à la table de la dignité. C’est cela la véritable souveraineté. Pour atteindre cet objectif qui conditionne notre devenir collectif, il faut un autre type de pacte entre les Burkinabè et leurs armées, un effort de guerre national sans précédent avec comme contrepartie, une meilleure gouvernance des armées.
« Les Africains peuvent-ils assurer leur propre sécurité ? ». Voici un exemple d’interrogation qui fait cas de nos « défis civilisationnels ». Pour ma part, je répondrai par ceci : Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout. Ce titre iconoclaste d’un livre de Venance Konan, traduit exactement le fond de ma pensée.

SARA Alain
Auteur du livre : Stratégie de sécurité économique pour le Burkina Faso
saraalain.bf@gmail.com