P.A.S ! Trois lettres les plus décriées sur le continent africain par les organisations syndicales et les associations de défense des droits humains.
Le Programme d’ajustement structurel (PAS) est tenu pour coupable de la persistance, voire de l’aggravation de la pauvreté qui frappe des millions d’Africains. Et pour
détracteurs, les institutions de Brettons Woods qui les inspirent et les appliquent en sont coupables.
Mais de quoi s’agit-il exactement et comment met-on en oeuvre le PAS ? Qui décide d’appliquer le PAS dans un pays ? Quels les avantages attendues et les conséquences redoutées ? Autant de questions que la Tribune ci-contre de Eric Zongo tente, avec clarté et pédagogie d’apporter des réponses.
Compte tenu de la longueur du texte, nous vous le proposons en deux parties.

A partir des années 80, les pays africains ont été le champ d’expérimentation d’une nouvelle politique économique dénommée « Plan d’ajustement structurel (PAS) », mise en œuvre sous l’égide des deux institutions clés du système de Breton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI).
Cette politique s’est traduite et continue de se traduire par des mesures d’austérité sans précédent que ne cessent de dénoncer les syndicats. Au Burkina Faso, il n’est pas rare de lire des références au PAS dans les déclarations des organisations syndicales à l’occasion de certains conflits sociaux.
La présente réflexion revient sur la question, en expliquant ce qu’est le PAS, comment et par qui le PAS est arrivé chez nous.

1 - Généralités sur le PAS en Afrique

La plupart des pays africains ont adhéré à la Banque Mondiale et au FMI au lendemain de leurs indépendances. En en devenant membres, ils acceptaient d’être conseillées par elles, d’être soumis à leur « surveillance » (le terme surveillance est un terme officiel dans les documents du FMI pour décrire sa mission), de mettre en œuvre les politiques qu’elles recommandaient et d’emprunter de l’argent auprès d’elles à leurs conditions.
Cette coopération des pays africains avec ces deux institutions se fait selon un partage bien défini des rôles : le FMI s’occupe des questions liées aux finances publiques (recettes et dépenses de l’Etat), des questions monétaires (franc CFA pour ce qui nous concerne) et des questions de balances de paiement (recettes d’exportations, coût des importations, et toutes formes d’entrées et de sorties d’argent dans nos pays). La Banque Mondiale, quant à elle, finance le développement : routes, santé, éducation, etc.
Pour financer les besoins des pays africains, ces institutions ne leur donne pas de l’argent. Elles leur en prêtent. Ces prêts remboursables sont à des taux présentés comme étant très faibles, lorsqu’on les compare aux prêts accordés par les banques privées.
Au début des années 80, en examinant la situation économique et financière des pays africains, le FMI et la Banque mondiale font un constat amer : les pays africains sont lourdement endettés, leurs économies sont en panne, et la pauvreté est grandissante. En raison de la panne des économies, les pays africains n’arrivaient plus à rembourser les prêts qu’ils avaient contractés auprès de la Banque Mondiale, du FMI, et des pays développées qui se trouvaient être aussi les gros actionnaires de ces mêmes institutions. Les intérêts de tout le monde étaient donc menacés.

Que faire ?

Dans leurs laboratoires, le FMI et la Banque Mondiale ont concocté ce qui s’apparente à un remède de choc, plus solide, plus vigoureux, dont ils pensent qu’il va « soigner » plus vite les pays africains, entendez par là, leur redonner la santé pour qu’ils puissent rembourser : c’est cela le plan d’ajustement structurel (PAS)
C’est comme un médecin qui donne de la nivaquine très amère à un malade pendant un certain temps, et, comme le malade ne guérit pas, décide de l’opérer.
La nivaquine, c’est ce que le FMI et la Banque mondiale administraient jusque-là. Désormais, ce sera la chirurgie !
Les pays africains, déjà liés par leur appartenance au FMI et à la Banque Mondiale, ne pouvaient nullement refuser la chirurgie proposée.
Les solutions proposées par le FMI et la Banque dans ces programmes d’ajustement se résument à des mesures très simples.
Pour combler le déficit des finances publiques, le FMI taille dans les dépenses. Il y a déficit lorsque les dépenses sont supérieures aux recettes. Il faut donc « ajuster » le niveau des dépenses à celui des recettes. C’est ça « l’ajustement ».
Pour ajuster dépenses et recettes, il y a 2 solutions :
  soit on augmente les recettes, c’est à dire qu’on collecte plus d’impôt et de taxes ;
  soit on diminue les dépenses, c’est à dire qu’on diminue ce que l’Etat donne à certains secteurs.
La première solution est toujours hypothétique, puisque rien ne garantit à l’avance que les recettes vont augmenter. Tout dépend en effet de la conjoncture économique, du civisme des agents économiques et de l’efficacité des services fiscaux. C’est trop de conditions à la fois.
La seconde solution, par contre, semble aux yeux des institutions de Breton Woods plus facile et peut être mise en œuvre immédiatement. Pour elles, Il suffit de savoir où couper. Par exemple, s’il est difficile de couper le budget de l’armée, toute chose qui peut amener un coup d’Etat, on peut couper les indemnités des fonctionnaires. Ils vont sortit crier avec des pancartes, et après tout rentrera dans l’ordre.
Pour relancer les économies, la Banque Mondiale libéralise l’économie et privatise les entreprises publiques. On les vend à des privés, qui sont supposés mieux les gérer.
A l’heure du bilan, les fortunes sont diverses, dans les différents pays ayant appliqué chacune à sa manière le traitement du FMI et de la Banque Mondiale.
Au fil du temps, face aux luttes syndicales, face aux critiques formulées ici et là, le PAS a pris des colorations différentes, en changeant de nom pour prendre des appellations qui évoquent la lutte contre la pauvreté. Mais la philosophie a toujours été la même : réduire les déficits, libéraliser l’économie et promouvoir le secteur privé.
Dans les bilans dressés par les deux instituions, il est habituel de mettre en relief ceux qu’on appelle les « bons élèves », c’est-à-dire les pays qui suivent à la lettre les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale.
Dans les couloirs de ces institutions à Washington, un des bons élèves dont l’évocation du nom étonne toujours, c’est le Ghana de …Jerry Rawlings.
Oui, Jerry Rawlings, le leader révolutionnaire, anti-impérialiste et panafricaniste du Ghana. Dès 1983, le Président Rawlings n’a pas hésité un seul instant à s’embarquer dans le PAS. Il a conclu en 1983 le premier accord de PAS du Ghana avec le FMI, à une époque où de nombreux pays tentaient encore de résister. Le programme a été rigoureusement conduit par son ministre des finances Kwesi Botchwey, nommé à son poste sur recommandation du FMI, qui a exigé et obtenu qu’il ait carte blanche pour travailler. Botchwey est resté à ce poste pendant 12 ans, de 1983 à 1995, dans une Afrique où la longévité traditionnelle des ministres des finances est beaucoup moindre. Après le départ de Rawlings du pouvoir, les gouvernements successifs du pays ont continué cette politique et l’ont tellement bien mise en œuvre qu’à un moment donné, le Ghana a pu décider, en accord avec le FMI, qu’il n’avait plus besoin du concours du FMI, même si les programmes de la Banque mondiale ont continué. Le Ghana a décidé de « sortir » du PAS, parce que les résultats étaient atteints. Ce pays est à ce jour considéré par le FMI comme l’un de ces meilleurs élèves. A tort ou à raison, on attribue à cette implication du FMI le décollage économique actuel du Ghana et les services du FMI aiment citer le Ghana comme la preuve que leur programme créé la prospérité économique. Il est vrai que, quand on compare la situation économique du Ghana en 1982, année de la prise du pouvoir par Rawlings, à celle qu’elle avait au moment où Rawlings quittait le pouvoir, c’était le jour et la nuit.
Si le Ghana est cité comme bon élève, le Burkina Faso n’est pas en reste.

II - Le Burkina Faso, le FMI et la Banque Mondiale

Notre pays a adhéré au FMI et à la Banque Mondiale le 2 Mai 1963. En adhérant à ces institutions, le Burkina a accepté d’être soumis à leurs règles. Nous sommes aujourd’hui en 2019. A aucun moment, depuis 1963, notre pays n’a quitté le FMI ou la Banque mondiale, malgré les multiples changements de régimes qu’il a connus. Ainsi donc, tous les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays depuis le 2 mai 1963, ont accepté de mettre la Haute Volta et le Burkina Faso sous le contrôle de ces institutions, de prendre en compte leurs conseils, d’appliquer leurs politiques, de se soumettre à leur « surveillance » et d’emprunter leur argent. Tous les ministres des finances du Burkina de 1963 à nos jours ont assisté aux assemblées annuelles du FMI et de la banque qui se tiennent chaque année en Septembre à Washington ou ailleurs, ont reçu leurs représentants postés ici à Ouagadougou, leur ont soumis leur gestion comme un écolier soumet son devoir à un maitre. Et il faut le répéter, quelle que soit l’orientation idéologique du régime en place, ce rituel n’a pas changé, puisque aucun gouvernement, y compris celui de Thomas Sankara, n’a eu le courage de rompre l’accord du 2 Mai 1963 qui nous lie au FMI et à la Banque Mondiale.
Par exemple, peu de gens savent que la décision prise par Maurice Yaméogo en fin 1965 de diminuer les salaires et les indemnités pour réduire le déficit des finances de l’Etat, a été dictée par le FMI. C’était une forme de PAS. On connait la suite.
Ceux qui ont vécu le fameuse « garangose », mise en œuvre par le ministre des finances Tiémoko Marc Garango à partir de 1966, vous diront que ce sont les mêmes mesures qui ont été reproduites par le CNR et reproduites par le Front populaire, à quelques variantes près.
Depuis 1966, c’est toujours les mêmes indemnités qu’on rogne, ce sont les mêmes retenues qu’on opère, ce sont les mêmes impôts qu’on applique.
C’est avec la « Rectification » survenue le 15 Octobre 1987 que la version PAS de l’aide du FMI a été introduite au Burkina.
L’accord signé avec le gouvernement de Blaise Compaoré a simplement consisté à monter d’un échelon supplémentaire dans la médication habituelle que le FMI administre à notre pays depuis 1965. La seule différence c’est qu’avec le régime Compaoré, on a ajouté la libéralisation de l’économie et les privatisations.
Quand on vous parle aujourd’hui de la suppression du fonds commun, sachez que c’est une injonction du FMI. Quand le gouvernement organise une conférence pour la remise à plat des salaires, il exécute un ordre du FMI. C’est le PAS et rien d’autre.
Mais une question qui mérite d’être posée à ce stade est de savoir quelle relation le Conseil national de la Révolution (CNR) du Président Sankara entretenait avec le FMI et la Banque Mondiale.
III – Sankara, le FMI et la Banque Mondiale
Quand le CNR, avec à sa tête le Président Thomas Sankara , a pris le pouvoir le 4 aout 1983, il a hérité d’un pays où le FMI et la Banque Mondiale étaient déjà présents depuis 20 ans (1963).
Tout au long de son règne, Thomas Sankara a dénoncé la domination du système impérialiste. Il a fustigé l’endettement des pays africains et, lors de son fameux discours à l’OUA, invité les pays africains à ne pas payer leurs dettes.
Mais dans la pratique, sa politique fut moins radicale. Thomas Sankara n’a pas retiré le Burkina du FMI ni de la Banque mondiale. Il a donc accepté, comme tous ses prédécesseurs, que le Burkina en soit membre et qu’il soit soumis à leurs conditions.

Le CNR a accumulé des arriérés dans le remboursement de la dette du pays, mais il ne l’a jamais revendiqué comme étant une défiance volontaire contre le système impérialiste. Il a expliqué au FMI et à la Banque qu’il avait des tensions de trésorerie liées à la faiblesse des recettes, laquelle faiblesse s’expliquait à l’époque par l’effondrement de l’investissement privé, effrayé par l’ambiance de la révolution. Ce qui était vrai !
La gestion des finances publiques sous Sankara fut une gestion fortement empreinte d’austérité. De nombreux avantages des fonctionnaires ont été supprimés, au nom de l’équité avec les masses rurales et au nom de la nécessité de compter sur ses propres forces : effort populaire d’investissement (EPI), suppression ou forte diminution des indemnités, réduction drastique du train de vie de l’Etat. Bizarrement, dans ses rapports, le FMI a chaudement félicité le CNR pour cela. On le comprend aisément puisque le type de mesures drastiques prises par le CNR ressemble beaucoup au genre de mesures que le FMI aime prescrire.
Sous Sankara, les ministres en charge des questions économiques et financières, à commencer par celui en charge des finances, étaient comme auparavant, des participants assidus aux assemblées annuelles du FMI et de la Banque Mondiale. Et ils travaillaient en parfaite harmonie avec les représentants de ces institutions sur place. Le pays continuait comme avant à emprunter l’argent de ces institutions.
Il est d’ailleurs intéressant d’observer que Damo Justin Barro, ministre des finances de Thomas Sankara de 1983 à 1986, a rejoint la Banque Mondiale en 1987 comme analyste financier. Il est courant pour le FMI, la Banque Mondiale et les différentes institutions internationales, de recruter des anciens ministres. Ce faisant, ils étoffent leur personnel technique avec des gens qui ont été de « l’autre côté », toute chose qui permet de mieux comprendre la vision des pays et de rédiger leurs programmes en conséquence. Mais quand un ministre rejoint ces instituions après un passage au gouvernement, c’est qu’il remplit au moins les trois conditions suivantes :
  Il a travaillé en bonne intelligence avec eux quand il était en fonction, entendez par là qu’il appliquait leur politique ;
  Il partage leur vision libérale de l’économie ;
  Il est compétent.
Durant le règne du CNR, aucun programme d’ajustement n’a été signé avec le FMI et la Banque Mondiale. Le programme est resté dans le domaine habituel, qui n’en demeure pas moins une sorte de PAS.
En 1987, plus précisément au mois de Février ou Mars, des contacts ont eu lieu entre le CNR et le FMI sur la question du PAS, et ce sur les encouragements de Jerry Rawlings, qui lui, était déjà embarqué dans le PAS. On ne saura jamais si le Président du CNR allait franchir le pas, et aller dans le même sens que son frère révolutionnaire du Ghana !

A suivre : Le gouvernement Compaoré et le PAS

Eric Stéphane Zongo
Économiste, Consultant