L’invitation faite aux cinq chefs d’Etat des pays du G5 Sahel continue de susciter la polémique sur le continent et dans la diaspora.
Ci-contre, une contribution de Denis Dambré qui n’est plus à présenter aux lecteurs de kaceto.net. Pour lui, le rendez-vous du 16 décembre sonne comme l’heure de vérité pour la France et l’Afrique noire francophone

Le ministre de la Défense, Chérif Sy, déclarait en juin dernier que, si les soldats français de l’opération Bakhane « le voulaient vraiment, ils auraient pu » battre les terroristes. Puis il s’interrogeait : « Les Français ont-ils d’autres priorités ? ».
Disons-nous la vérité. Chérif Sy est un homme tout à fait estimable. Il a prouvé par son engagement passé une honnêteté intellectuelle et un souci du bien commun qui forcent le respect. De sorte que sa nomination au poste de ministre de la Défense a suscité bien des espoirs dans le contexte d’insécurité actuel.
Mais, sur ce coup, cette même honnêteté intellectuelle dont il a souvent fait preuve oblige à reconnaître sans ambiguïté qu’il a fait un procès d’intention aux forces françaises, de surcroît dans un langage très peu diplomatique. L’ancien président français, François Hollande, intitulait son livre Un président ne devrait pas dire ça… On peut appliquer la formule à Chérif Sy et affirmer : Un ministre de la Défense ne devrait pas dire ça…
Ce n’est pas méconnaître les qualités humaines ni l’intégrité de l’homme Chérif Sy que de le dire tout net. Même les meilleurs peuvent se tromper. Le ministre de la Défense peut même en sortir renforcé s’il accepte de reconnaître ses torts et d’en tirer les conséquences dans l’intérêt général.
Car, si l’on s’en tient au fond du problème, une question brûle les lèvres : à qui le peuple burkinabé doit-il d’abord demander des comptes sur l’insécurité ambiante si ce n’est à son gouvernement et à ses ministres de la Défense et de la Sécurité ? Dans la lutte contre le terrorisme, la présence de la France à nos côtés est un renfort ami librement négocié qui ne saurait exonérer le pouvoir en place de ses responsabilités.
Laisser entendre au détour d’une interview que, si nous avons des difficultés à enrayer le terrorisme, la faute en incomberait aux militaires français qui ne feraient pas le job procède, soit d’une volonté d’enfumer le peuple pour se prémunir contre ses critiques légitimes, soit d’une analyse politique en-deçà du niveau attendu de la part d’un ministre placé à la tête d’une armée nationale de plus de 11 mille soldats.
Mais les propos de Chérif Sy sont symptomatiques de la tendance de certains responsables politiques à se cacher derrière leur petit doigt devant la difficulté. Alors que les peuples attendent de leurs leaders qu’ils leur indiquent, par la pédagogie du pouvoir, le chemin à suivre vers davantage de bien-être et de progrès social.
En effet, lorsque des citoyens éclairés maugréent ou manifestent leur mécontentement, ils restent néanmoins disposés à entendre la vérité pour peu qu’on soit assez pédagogue pour laisser entrevoir une perspective heureuse au-delà des difficultés à traverser. La devise de l’Etat du Kansas aux Etats-Unis traduit bien cette idée : ad astra per aspera (vers les étoiles à travers les difficultés).
Mais, par facilité, nombre de dirigeants politiques s’abritent derrière des arguments issus de la rumeur populaire pour rembourrer sans effort leur petit matelas d’opinions favorables. Oubliant au passage que cela ne dure jamais qu’un temps. Car, comme disait Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps. On peut aussi tromper tout le peuple une partie du temps. Mais on ne peut jamais tromper tout le peuple tout le temps. »
La convocation par le président français d’un G5-Sahel pour le 16 décembre afin d’obtenir de chacun des pays une réponse claire sur sa volonté ou non d’être soutenu par la France dans la lutte contre le terrorisme sonne ainsi comme une épreuve de vérité pour Chérif Sy. Le ministre de la Défense est au pied du mur et doit sans esquive ni détour dire la vérité.

Soit il présente des excuses – ou démissionne pour que l’armée française ait, en son successeur, un interlocuteur de confiance pour poursuivre à nos côtés la lutte contre les djihadistes –, soit il persévère dans sa fronde anti-française et il devra alors en assumer seul les conséquences vis-à-vis du peuple burkinabé. Sachant que, n’en déplaise à certains analystes de courte vue, si la France se retire, le chaos est bel et bien assuré.
D’aucuns invoquent les intérêts français en Afrique pour prétendre que l’ancienne puissance coloniale ne se retirera jamais même si les chefs d’Etat convoqués demandent le départ des troupes françaises. Erreur. Ils oublient qu’avant les attaques terroristes, il n’y avait pas d’opération Barkhane. Cela empêchait-il pour autant la France d’avoir des intérêts en Afrique ? Assurément non.
Si le président français demande à ses homologues du G5-Sahel de se positionner clairement sur la présence des soldats français, c’est parce qu’il sait bien que ce sont nos dirigeants qui ont demandé à la France d’intervenir. Aujourd’hui, plus aucune opération de l’armée française en Afrique ne s’effectue sans le consentement du pouvoir en place. Oui, nous sommes bien sortis de la Françafrique et la France peut tout à fait retirer ses troupes et rapatrier ses ressortissants en cas de besoin comme elle l’a déjà montré en d’autres circonstances.
Cela dit, on peut se demander si Emmanuel Macron a eu raison de convoquer de la sorte les dirigeants africains ? Certes, son émotion au moment-même où la France venait de perdre encore 13 de ses soldats sur le théâtre des opérations est compréhensible. Perdre autant de combattants pour la défense de pays amis et entendre en sourdine des remises en cause permanentes, y compris de la part de responsables politiques de premier ordre, est pour le moins insupportable.
Dans sa convocation du G5-Sahel, le plus critiquable est surtout cette impression que le paternalisme, dont le président français entend pourtant sortir les relations franco-africaines, reste tout de même à l’œuvre. Réunir de la sorte des chefs d’Etat en difficulté en brandissant la menace de leur retirer son soutien militaire à un moment où tout le monde, y compris la France, a intérêt à conjuguer les efforts pour vaincre le terrorisme revient à ajouter de l’humiliation à leur impuissance.
En somme, il est temps de sortir les relations franco-africaines des « je t’aime, moi non plus » réciproques qui ne servent l’intérêt de personne. De toute façon, qu’on le veuille ou non, l’histoire nous tiendra toujours liés. Que chacun défende ses intérêts est normal dans les relations internationales. Mais débarrassons-nous de part et d’autre de nos complexes, qu’ils soient de supériorité ou d’infériorité, pour vivre enfin une ère nouvelle. Car, pour rappel, le Brésil a été colonisé par le Portugal, mais il est aujourd’hui plus développé que son ancienne puissance coloniale. De même, la France elle-même a été occupée par l’Allemagne pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais cela ne l’empêche pas aujourd’hui de travailler main dans la main avec son voisin germanique.

Denis Dambré
Proviseur de lycée
Kaceto.net