L’école chez nous : un âne mal traité, maltraité, chargé de mille fardeaux dont celui de conduire des somnambules à bonne destination.

Je vais résumer les deux offres de l’école qui n’ont jamais été vraiment acceptées par ceux qui la dénigrent nuit et jour et la disqualifient dans les batailles du développement :
1) apprendre à réfléchir par soi-même, en toute autonomie, en sachant lire, calculer, parler avec des arguments pour partager du sens avec tous ceux qui utilisent leur raison,
2) apprendre à vivre ensemble avec et par nos différences en se soumettant tous à la raison, chose du monde la mieux partagée, avec en prime, le sens du bien commun, la république, la société, l’Etat.
Beaucoup de ceux qui veulent couler l’école sont des gens qui ont confondu réfléchir et récolter/consommer de simples recettes et qui n’ont jamais voulu se libérer de l’esprit de clan, de région, de famille, de tribu, d’ethnie et de parti…. la mauvaise foi, c’est de crucifier l’école sur l’autel patibulaire de leur propre impuissance.

Contre vents et marrées, mais jamais contre la raison, je défends l’école contre une société qui veut sa mise à mort en lui faisant un procès en sorcellerie, en inutilité. On ne va pas à l’école pour trouver un travail, mais pour apprendre à penser/réfléchir, comprendre le monde et apprendre à vivre avec les autres dans leurs différences/divergences au sein de la société, de la République (Jules Ferry) ….
Le rôle de l’école est de former enfants à leur propre valeur en tant que personne, de les former au monde dans lequel ils vivent et évoluent, de les former à l’humanité qui reste toujours menacée par la monstruosité, la barbarie, de les former à l’universalité (je ne suis pas seul au monde, c’est la diversité qui constitue le monde). Ce n’est pas à l’école de trouver et de donner du travail aux gens, elle peut seulement les y aider ….. C’est la société qui, pour répondre à ses nombreux besoins, crée et donne du travail, procède à la division sociale, sexuelle du travail entre ses membres, à chacun selon ses compétences et ses préférences. On peut se créer du travail soi-même, faire ce qui nous plaît, refuser l’offre de la société ou compenser son incapacité à nous offrir ce que nous voulons en entreprenant nous-mêmes, en assumant notre autonomie.
Pourquoi, comme des coupeurs de route, certains sont en embuscade, aigris de leur propre incompétence à se trouver ou à se donner du travail (auto-entreprenariat), font régulièrement irruption sur la route pour s’autoriser à "serrer les colles" de l’école et lui réclamer du travail, faute de quoi ils menacent de la mettre à mort ? C’est ceux-là mêmes qui n’ont jamais rien ou presque rien donné à l’école (pas même leur cerveau à réformer, leur ignorance et leur stupidité à vaincre) qui attendent qu’elle fasse tout pour eux, qui lui demandent tout … Comme d’ailleurs ces croyants qui dorment dans les gémissements de leur mauvaise conscience en attendant le salut de leur dieu appelé toutes les minutes pour assurer le salut d’une humanité malade et encline aux lamentations, aux jérémiades et prières. C’est un peu l’histoire d’Harpagon et la poule aux œufs d’or… Avec la concupiscence, le désir sans fin de posséder ce qu’on ne produit pas soi-même, on presse la poule de pondre le plus d’œufs possible et vite, qu’à la fin on la tue par étouffement. En voulant trop et tout gagner, on peut tout perdre. L’école ne saurait être le bouc-émissaire des turpitudes de la société. Celle-ci doit savoir où elle va, ce qu’elle veut et engager les moyens en conséquence.

Si on veut que l’école nous accompagne jusqu’à la porte du marché de l’emploi, il ne nous reste plus qu’à investir des ressources dans cette école à la mesure de nos attentes et exigences. Mais les ressources matérielles, financières ne suffiront pas tant que nous-mêmes ne nous investissons pas à apprendre : le désir de connaissance précise est essentiel pour qu’une école produise du fruit, or nous sommes dans une société où les gens veulent consommer et non connaître, veulent des vivres et non du savoir, veulent des prières, des souhaits, des bénédictions et nos des connaissances. L’obscurantisme au lieu de se dissiper continue de s’installer chez nous surtout par les temps qui courent ….être ignorant ce n’est pas vraiment un problème, car nous le sommes tous à des degrés divers, c’est une maladie curable, mais être obscurantiste, misologue (haïr la raison, détester la connaissance), cela est un crime contre l’intelligence, la conscience, la responsabilité, l’humanité. L’école vous donne à la mesure de ce que vous y investissez, il n’y a pas d’école productive sans investissement personnel, familial, social, économique et politique …. c’est là, le malentendu fondamental dont il faut sortir vis à vis de cette institution, pour lui assurer les moyens de remplir les nouvelles et croissantes missions qu’on lui assigne de remplir … Si tu veux que ton âne te conduise à bon port, il faut le nourrir comme il faut, mais en plus, il faut le diriger. On ne peut pas dormir sur le dos de l’âne et lui demander de nous conduire à bonne destination (au marché du travail). Ceux des cavaliers qui arrivent à destination ménagent, soignent, entretiennent leur monture, mais mieux, ils pilotent cette monture car ce n’est pas l’âne qui décide de la destination, mais son propriétaire. Si ce dernier démissionne, inutile de donner des coups de bâton ensuite à l’âne … il n’y est pour rien dans les turpitudes et l’impuissance de son propriétaire qui doit d’abord savoir où il veut aller, s’il veut bien sûr aller quelque part. Il y a des gens qui ne veulent aller nulle part, qui ne savent même pas ce que "vouloir" veut dire …
La professionnalisation des formations scolaires a un coût, tout le reste n’est que populisme. Les entreprises et l’Etat ont l’obligation de nourrir l’école pour qu’elle contribue à la formation du capital humain, au changement social, au développement économique, à la consolidation de l’esprit républicain et à la justice sociale.
On peut ne plus vouloir de l’école sous prétexte de tous ses défauts, mais alors il faut la quitter et aller directement sur le marché de l’emploi qui saura quel type de profession vous offrir. Il y a certes des non-scolarisés qui réussissent, mais à quel prix ? Il y a certes beaucoup de jeunes qui réussissent dans le petit commerce, mais à quel prix ? combien échouent ? combien perdent du temps, des ressources et leur vie, parce qu’il leur manque le peu de lumière que donne la formation scolaire pour comprendre ce qu’on fait et réfléchir à mieux faire ce qu’on faisait assez mal... L’école ne supprime pas la responsabilité des gens devant la vie ou le travail, elle leur fournit seulement (et c’est loin d’être peu) quelques outils théoriques et pratiques pour leur faciliter les choses …. L’école n’est pas là pour nous dispenser de prendre nos responsabilités, elle peut seulement nous y aider…. mais elle ne peut aider que ceux qui lui en donnent les moyens et se laissent aider. "On ne peut coiffer personne en son absence" Joseph KI ZERBO.

Jacques Nanéma
Professeur Titulaire de philosophie moderne et contemporaine
Université Ouaga 1 Joseph Ki Zerbo