Le franc CFA va changer de nom pour s’appeler l’« Eco », ont annoncé ce samedi le président Macron et son homologue ivoirien, Alassane Ouattara.

L’histoire retiendra que le franc CFA est mort le 21 décembre 2019 à Abidjan. Samedi, au second jour de sa visite en Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron et le président ivoirien Alassane Ouattara ont annoncé ensemble « une vaste réforme » de cette monnaie commune à huit pays de l’Union monétaire l’Afrique de l’ouest (Uemoa). « Le franc CFA a été un outil de développement de notre économie et il fallait effectuer des réformes. C’est une décision prise en toute souveraineté », a expliqué Alassane Ouattara. Les changements seront profonds sur trois points. Le premier, le plus simple et le plus symbolique, est un changement de nom. Les deux autres tiennent à deux modifications techniques mais d’une portée bien réelle.

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« Le CFA était perçu comme de vestige de la Françafrique », a affirmé Emmanuel Macron. Le franc CFA était en effet de plus en plus contesté dans les opinions publiques africaines, au point de devenir une sorte de symbole d’une relation inavouable entre Paris et ces anciennes colonies. Les gouvernements africains, longtemps rétifs aux changements ont finalement accéléré en constatant que le ressentiment, nourri par les réseaux sociaux, débordait largement les milieux marginaux où il était confiné.

« Machine à fantasmes »
Le nom « Franc CFA » concentre les rancœurs. L’acronyme « CFA » porte le poids du passé de ce billet lancé pour la première fois en 1945, en pleine « splendeur » coloniale. Le « CFA » n’est certes plus « Colonies françaises d’Afrique » comme alors mais « Communauté financière d’Afrique ». Mais l’habillage, léger, laissait un gout amer, près de 60 ans après les indépendances. La future monnaie adoptera très probable le nom d’Eco, un choix fait en début d’année par les chefs d’état de l’Uemoa.

Les deux autres annoncent concernent le fonctionnement complexe du désormais défunt CFA. Ce dernier bénéficie d’une parité fixe avec l’Euro (depuis qu’il a remplacé le franc français) et d’une garantie de la banque de France. En échange, la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest (BCAO) devait obligatoirement placer 50% de ses réserves de change sur un compte d’opération géré par le Trésors français. Les sommes consignées étaient de 15 milliards d’euros en 2015. Ce compte d’opération sera supprimé, et la BCAO désormais libre de placer ses réserves où elle le souhaite et du montant qu’elle le souhaite.

Là encore, Paris a insisté. Au fil des années, ce compte s’est transformé en une « machine à fantasmes », explique un diplomate. Les anti-CFA reprochaient à la France de s’en servir pour payer sa dette sur le dos de l’Afrique, de l’utiliser pour imposer ses entreprises et maintenir la dépendance … « C’est très grossier comme accusations mais cela nourrissait le sentiment anti-français et la défiance vis-à-vis des présidents africains », assure-t-on à l’Elysée.

Parité fixe avec l’euro conservée
Le dernier changement concerne la gouvernance. Les représentants français qui siégeaient dans trois différentes instances de la BCAO laisseront leurs sièges. Cette présence était vécue, non sans raison, comme une véritable tutelle par les nationalistes africains, et régulièrement brocardée. Selon une source proche du dossier, la reforme a été négociée pendant plus de six mois dans le plus grand secret entre les équipes d’Emmanuel Macron et d’Alassane Ouattara. Ce dernier, à la tête de la principale puissance économique de la région et président de l’Umoa, se chargeant seul du dialogue avec ses homologues africains.

Pour importante qu’elle soit, cette réforme ne touche cependant aucun des fondamentaux de la monnaie ouest-africaine. Ainsi, la parité fixe avec l’euro sera conservée toute comme sa convertibilité totale et la garantie de la Banque de France. Ni Alassane Ouattara ni Emmanuel Macron ne souhaitaient en fait toucher au socle du CFA. « C’est une demande des Etats d’Afrique. Nous avons accepté et nous les soutenons », a précisé le président français.

Au-delà de l’envie de satisfaire des opinions publiques agacées, la réforme est aussi destinée à convaincre d’autres pays africains de rejoindre l’Union monétaire. « Jusqu’alors, le lien très fort avec la France agissait comme un repoussoir, surtout dans les pays anglophones », souligne un expert. Or, le Ghana, et dans une moindre mesure le Liberia, sont les principaux candidats pour se lier au futur Eco. A terme, l’immense majorité des 15 états de la Communautés économiques des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao), l’organisation régionale, pourrait être partie prenante de l’Eco. Seul le Nigeria restera en marge. Ce géant économique, qui pèse à lui seul 60% de PIB de la Cédéao et représente près de la moitié des habitants fait encore trop peur à ses voisins. Reste qu’un élargissement de l’Eco ne pourra sans doute pas se faire sans redéfinir plus en profondeur son mode de fonctionnement, son lien à la France et à l’euro. Ce jour-là, le CFA sera totalement enterré.

Tanguy Berthemet
lefigaro.fr