Annoncée comme un jour historique, la fin de la monnaie partagée entre la France et quinze pays africains est diversement reçue. Revue.

Huit pays d’Afrique de l’Ouest et la France ont decide une reforme d’envergure du franc CFA, qui va changer de nom pour s’appeler l’Eco, a annonce samedi le president ivoirien Alassane Ouattara en presence d’Emmanuel Macron.
Huit pays d’Afrique de l’Ouest et la France ont décidé une réforme d’envergure du franc CFA, qui va changer de nom pour s’appeler l’Eco, a annoncé samedi le président ivoirien Alassane Ouattara en présence d’Emmanuel Macron.
La décision annoncée par les présidents de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara, et de la France, Emmanuel Macron, à propos de la fin du franc CFA, a très vite fait réagir parmi les économistes, acteurs politiques ou encore spécialistes des questions monétaires. Si beaucoup ont souligné comme historique ce moment après 75 ans d’existence ainsi que le changement de dénomination, nombreux sont ceux qui appellent à rester vigilant quant aux contours de la future monnaie, l’Eco.

Un jour jugé historique

« Le moment historique que nous vivons aujourd’hui fait écho à notre engagement pour le changement ! » s’exclame sur sa page Linkedin Kako Nubukpo, économiste togolais. « Le passage du FCFA à l’Eco est une bonne nouvelle pour l’avenir des pays qui l’utiliseront ! Nous resterons tout de même vigilants sur la question du régime de change qui devrait bientôt être résolue la parité fixe étant transitoire », a-t-il réagi, alors que ses positions sur le franc CFA, lui ont fait perdre tour à tour son poste de ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo, en 2015 et celui de directeur de la francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) à la fin 2017.

Un jour important pour le collectif Sortir du franc CFA qui se réjouit « de cette nouvelle historique » et ajoute : « Nous soutiendrons l’éco que si elle se fait avec tous les pays de la Cedeao. » Mais le collectif dit malgré tout « désapprouver la manière dont les choses se sont effectuées. Il aurait fallu le faire avec la Cedeao » analyse Makhoudia Diouf pour Le Point Afrique. « Nous attendons donc la déclaration de la Cedeao avant de nous prononcer définitivement. Alassane Ouattara est un défenseur zélé du franc CFA donc il n’a pas la légitimité ni la crédibilité pour décider de la future monnaie. Pour le président français, sa parole ne compte pas réellement pour nous. » Selon lui il faut comprendre que « le franc CFA n’est pas totalement mort car la Cemac et le franc comorien sont encore là. Au lieu de faire des déclarations depuis Abidjan, Macron, pour prouver sa sincérité, pourrait signer un décret mettant fin à la zone franc. »

« Non, le franc CFA n’est pas mort »

L’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla affirme pourtant que « non, le franc CFA n’est pas mort. Macron et Ouattara se sont seulement débarrassés de ses atours les plus polémiques », tranche le spécialiste, coauteur avec Fanny Pigeaud de L’Arme invisible de la Françafrique. Une histoire du franc CFA, publié en 2018. « Le cœur du système est bel et bien en place (accord de coopération monétaire avec la France comme "garant" ; parité fixe avec l’euro ; politique de répression monétaire ; maintien d’une zone franc composée de pays qui commercent peu entre eux et qui logiquement ne devraient pas partager une même monnaie). Avec "leurs" réformes, Macron et Ouattara ont signé l’acte de décès du projet d’intégration monétaire entre les 15 pays de la Cedeao », écrit-il sur sa page Facebook.

Au-delà de la problématique monétaire, la question est éminemment politique. Pour l’opposant ivoirien Mamadou Koulibaly, qui a veillé très tard dans la nuit de samedi à dimanche pour répondre aux questions que se posaient citoyens et partisans, il est « triste de constater, encore une fois, que Ouattara a trahi les peuples ouest-africains qui voulaient s’offrir une bonne monnaie, l’Eco, dans la Cedeao et auxquels il vient de voler leur rêve d’intégration monétaire, en sacrifiant cet espoir à un vestige de l’esclavage qui a pris les avatars de la colonisation et qui, moribond, cherchait une source vivifiante pour rebondir », a réagi le président du parti Lider. « Je me suis demandé si Ouattara avait l’aval des autres pays membres de l’UEMOA pour faire ce qu’il a fait et si les autres pays de la Cedeao avaient donné leur accord pour que l’Eco soit reprise en main par la France qui va lui donner sa garantie avec une parité fixe contre l’Euro », s’interroge-t-il dans un échange avec Le Point Afrique. Et l’homme connu pour son activisme sur la question du franc CFA d’avouer sa surprise quant à cette annonce qui n’a fait l’objet d’aucun débat parlementaire dans le pays. Selon lui, le droit n’a pas été respecté. « Dans des univers d’État de droit, une telle réforme ne se serait pas contentée de la signature de deux ministres. Car, ce qui semble avoir été modifié par les Ouattara et Macron à Abidjan, c’est la convention du compte d’opérations qui gère la domiciliation des réserves de change des pays membres de la BCEAO, la parité du FCFA, les garanties de convertibilité… Or, remettre en cause ce dispositif change les statuts de la BCEAO qui doivent être modifiés pour définir où et comment détenir les réserves de change et d’or des pays », poursuit par écrit Mamadou Koulibaly. « Toucher à ces statuts remet en cause le traité de coopération monétaire entre la France et l’UEMOA. Qui dit traité, dit signature par les chefs d’État et de gouvernement et ratifications par référendum ou par les parlements. Ce que je veux dire, c’est que, si on n’a pas jugé utile de faire intervenir les chefs d’État et de gouvernement et les parlements nationaux, c’est parce que, en définitive, rien ne change. »

« Les jours qui viennent nous diront pourquoi cette précipitation et quel est d’agenda caché de telles annonces qui ne changent en définitive que les soi-disant 0,75 % de taux d’intérêt que la France versait à la BCEAO comme rémunération des réserves qui y étaient déposées. Mais en attendant, la France, inquiète de la montée de la clameur publique contre le FCFA, a peut-être pensé désamorcer cette pression ? » se demande Mamadou Koulibally.

La pression des jeunes et des activistes

En effet, jugé par trop néocolonialiste par les jeunes générations, le franc CFA est de plus en plus contesté. De même que la parité fixe avec l’euro (1 euro = 655,957 francs CFA et 1 euro = 491,968 francs comoriens) est critiquée, car elle priverait les économies africaines de la zone franc de la flexibilité d’un taux de change ajustable qui pourrait leur donner un avantage comparatif pour exporter. Alors qu’avec un franc CFA rattaché depuis 1999 à une monnaie forte comme l’euro, elles sont plus enclines à importer qu’à produire pour elles-mêmes, voire à exporter. Resté longtemps technique et réservé jusqu’ici aux seuls experts, le débat sur le franc CFA a pris une tournure plus politique. Les déclarations récentes du président du Bénin, Patrice Talon, demandant ouvertement – et pour la première fois – que l’Afrique retire ses réserves de change du Trésor français, pourraient avoir sonné son hallali.

Pour l’activiste franco-béninois Kémi Séba, connu pour avoir brûlé un billet de cinq mille francs CFA en août 2017 à Dakar lors d’une manifestation « il est nécessaire de préciser que si aujourd’hui le président Macron fait ce changement qui n’est que cosmétique, c’est parce que jamais depuis les indépendances le sentiment hostile au néocolonialisme français n’a été aussi puissant au sein de la jeunesse africaine et de la société civile. Je pense qu’Urgences panafricanistes a eu une très grosse responsabilité dessus », a-t-il réagi à Ouagadougou, peu avant une nouvelle expulsion du territoire où il organisait une conférence dans laquelle il n’a pas hésité à insulter directement le chef de l’État Rock Marc Christian Kaboré. Il a ajouté devant les médias : « Ils ont fait un semi-compromis, on ne va pas présenter cela comme une victoire. On va continuer à faire pression, 2020 va être une année plus que jamais ou on va se faire entendre sur le terrain. »

L’économiste, spécialiste des questions de chaînes de valeurs et de pauvreté, Pape Demba Thiam veut nuancer le débat qui suscite de nombreuses réactions depuis hier. « Il s’agit d’abord d’une décision politique dont les modalités pratiques de la mise en œuvre doivent encore faire l’objet de beaucoup de travail dans les prochains mois » écrit-il dans une tribune publiée par le site Seneplus. Fin observateur des économies africaines, Pape Demba Thiam fait l’analyse selon laquelle « la seule manière de changer du CFA à l’ECO du tic au tac, serait simplement d’en changer le nom tout en gardant les mécanismes de fonctionnement. Or ceci ne semble pas être le cas puisque le “compte d’opérations” est prévu pour disparaître dans le même temps qu’on dit que la parité fixe avec l’euro sera maintenue. »

Mais attention, avertit l’ancien coordonnateur pour la Banque mondiale de la stratégie régionale pour le développement du secteur privé et financier en République démocratique du Congo « on dit bien “la” parité, pas “une” parité, ce qui voudra dire qu’un euro équivaudrait toujours à 655,956 Eco. Ce sont deux paramètres de travail qu’il faudrait pouvoir réconcilier par des stratégies qui conviennent à la diversité des économies de l’UEMOA. » « Je retiendrai donc plutôt la volonté de ne pas abandonner un outil d’intégration monétaire important et indispensable tout en espérant que la nouvelle monnaie ira au-delà d’un simple instrument de paiement pour devenir un instrument de politique économique », conclut-il.

Par Viviane Forson
Lepoint.fr