Entre législations inefficaces, insuffisance de financement et manque de volonté politique, l’accès au logement pour tous en Afrique semble avoir été exclu du débat socio-économique, au lendemain des indépendances africaines. Un enjeu crucial, dont de nombreux pays semblent de mieux en mieux saisir l’importance ces dernières années…

Des millions d’Africains touchés sur fond d’urbanisation rapide

Avec une population estimée à 1,3 milliard d’individus pour une superficie de 30,2 millions km², l’Afrique abrite environ 17% de la population mondiale sur 22% des terres de la planète. Au cours des dernières années, le taux d’urbanisation du continent a considérablement évolué.
Les Nations unies estiment qu’en l’espace de 20 ans, la population urbaine du continent a été multipliée par deux, atteignant 475 millions d’individus en 2015. D’ici 2025, elle devrait d’ailleurs frôler le milliard d’individus, non seulement en raison du boom démographique que connaîtra le continent, mais également en raison du phénomène d’exode rural qui devrait l’accompagner.
Cependant, cette urbanisation rapide ne s’est pas accompagnée d’une amélioration des conditions de logements. D’après la Banque mondiale, plus de 60% de la population urbaine africaine vit aujourd’hui dans les bidonvilles. En termes réels, cela signifie que 285 millions d’Africains vivent aujourd’hui dans des conditions de logement peu décentes. L’institution prévoit également que l’Afrique pourrait compter jusqu’à 1,2 milliard d’habitants urbains, d’ici 2050, et 4,5 millions de nouveaux résidents dans des établissements informels chaque année, dont la plupart ne peuvent se permettre un logement formel de base ou accéder à des prêts hypothécaires.

Des coûts de construction élevés

En Afrique, l’absence de l’Etat dans le secteur de la construction a poussé les populations à combler ce vide à travers leurs propres ressources.
D’après l’ouvrage ’’Housing Markets Dynamics In Africa’’, réalisé par des économistes de la Banque africaine de développement (BAD) « au Cameroun, par exemple, 93% des maisons sont construites par les propriétaires, tandis qu’à Dakar, au Sénégal, plus de 80% sont construites par eux-mêmes ». Les auteurs de l’ouvrage ajoutent que « le logement formel ne représente que 10 % des logements construits dans les villes africaines ». 90% des citadins vivent donc dans un logement informel. Cette situation, qui traduit un besoin de régulation du secteur, a entre autres favorisé le déséquilibre observé aujourd’hui.

D’après l’organisation Reall, spécialisée dans le soutien au lancement d’entreprises de développement immobilier en Afrique, les familles n’ont souvent pas d’autre choix que d’avoir recours aux logements à bas coût, malgré leur capacité à payer pour de meilleurs logements. Cette situation est liée non seulement au manque de régulation des Etats, mais également aux coûts de construction assez élevés dans les pays du continent, dans le secteur de l’immobilier.

D’après la Banque mondiale, le coût du ciment, principal matériau utilisé dans la construction des maisons en Afrique, est 183% plus cher sur le continent que la moyenne mondiale. Ceci est dû, non seulement au monopole exercé par une poignée d’entreprises dans le secteur, mais également au coût d’importation des matériaux de construction du secteur immobilier.
Au sein du continent, d’énormes disparités existent entre les pays eux-mêmes. En 2011, la Banque mondiale a réalisé une comparaison des coûts de construction par m² des logements en Afrique. Pour la construction d’une maison de plain-pied (où toutes les pièces sont au même niveau) de qualité moyenne par exemple, on estime que le coût de construction par m² varie de 173 $ au Maroc, à plus de 865 $ pour la République du Congo.

Ces coûts de construction élevés se traduisent généralement par des loyers trop élevés pour des logements simples, et également pour des logements de basse qualité, excluant de fait les plus pauvres de l’accès à des logements de qualité. Au Malawi, la maison formelle la moins chère est presque 60 fois plus chère que l’alternative informelle typique.

« Dans de nombreux pays africains, seuls 5 à 10% de la population peuvent se permettre la forme la moins chère de logement formel », indiquait Ede Jorge Ijjasz Vasquez, directeur principal du pôle Développement social, urbain, rural et de résilience du Groupe Banque mondiale. A ceci s’ajoute la difficulté de l’accès aux terres, malgré une demande en hausse constante des populations.
« Dans la plupart des villes africaines, le coût élevé du logement urbain est souvent dû à plusieurs facteurs, notamment des politiques de gouvernance foncière inadéquates qui encouragent les acquisitions spéculatives, une mauvaise planification urbaine qui engendre l’étalement urbain et le manque d’infrastructures essentielles qui a considérablement augmenté le coût des terrains desservis. Les coûts de viabilisation des terrains s’ajoutent aux coûts d’aménagement des logements. En conséquence, les terrains viabilisés disponibles sont limités et hors de portée de la majorité », indiquent les économistes de la BAD dans leur ouvrage.
D’après la revue The Economist, seulement 10% des terres africaines sont enregistrées et commercialisables.

Une augmentation des initiatives publiques

Cependant, les efforts réalisés par les Etats pour fournir des logements abordables à leur population se sont accrus, ces dernières années. En partenariat avec des investisseurs publics ou privés étrangers, de nombreux Etats ont lancé de vastes programmes de construction de logements abordables.
Au Kenya par exemple, le gouvernement d’Uhuru Kenyatta a adopté un programme, le Big Four Agenda, dont l’un des principaux objectifs est de construire 500 000 logements, d’ici à 2022, afin de réduire de 60% le déficit du pays en matière de logements abordables. Au Rwanda, le gouvernement a lancé en mai dernier, un programme de 131 millions $, pour la construction de plus de 2000 logements abordables à Kigali.

Au Mozambique, plus de 35 000 logements abordables devraient être construits par le chinois CITIC Construction, grâce à un financement de Pékin. Au Bénin, l’Etat a obtenu en octobre, un financement de 69 millions $ pour construire des logements abordables dans les environs de Cotonou, sa capitale économique.

Dans certains pays du continent, la mise en œuvre de programmes de réduction du déficit en logements a permis d’enregistrer des résultats concrets. D’après le gouvernement marocain, le déficit en logements du pays a été réduit de 800 000 unités en 16 ans. Il est passé de 1,2 million d’unités en 2002, à 400 000 unités en 2018, grâce au programme national « Villes sans bidonvilles », lancé en 2004. 59 villes sur les 85 ciblées par le programme ont été déclarées sans bidonvilles, contribuant à l’amélioration des conditions de vie de plus de 1,5 million d’habitants.

Sur le plan de la législation, les Etats ont également accompli des efforts importants. En avril 2018, le Bénin a par exemple adopté une loi portant régime juridique du bail à usage d’habitation domestique. Celle-ci dispose notamment que le loyer annuel ne peut excéder 8% de la valeur réelle du logement, de l’appartement ou de l’immeuble, ni le montant du cautionnement à titre de garantie excéder une somme correspondant à trois (03) mois de loyer. Une loi saluée par de nombreux habitants du pays et qui devrait réduire les coûts de logement et permettre de réguler un secteur marqué par la toute-puissance des bailleurs.

De plus, les réformes foncières mises en œuvre par les Etats semblent converger vers une harmonisation progressive du secteur, comme c’est le cas au Congo, où, en 2018, l’Etat a adopté une nouvelle loi sur le foncier pour combler le vide juridique sur les règles d’occupation et d’acquisition des terres et terrains.

Réduire les coûts et mobiliser le secteur privé

De l’avis de plusieurs experts, ces programmes de construction de logements sociaux ne pourront à eux seuls permettre de régler la problématique du logement abordable en Afrique. D’ailleurs, la Banque mondiale estime que, bien que de nombreux gouvernements en Afrique fournissent directement des logements pour répondre à la demande des populations urbaines croissantes, ces programmes sont extrêmement coûteux pour le gouvernement, hors de portée des citadins pauvres, et n’ont pas augmenté de façon significative le nombre de logements abordables.

Pour l’institution, les maigres ressources de l’Etat doivent plutôt cibler le logement informel dans les zones à faible revenu, « en modernisant les infrastructures, en améliorant l’administration foncière et les règlements de planification, et en élargissant l’accès au financement par des prêts de microfinancement, des groupes de crédit et des coopératives de crédit ». L’amélioration de l’accès au crédit immobilier doit également être l’un des principaux objectifs des gouvernements africains, sur un continent où seulement 42,61 % des personnes âgées de 15 ans et plus possédaient un compte bancaire, dans la région subsaharienne en 2017 contre 94,68 % dans les pays de l’OCDE.

Au-delà des programmes de construction de logements à moindre coût, les pays peuvent œuvrer pour réduire les coûts de construction, en important moins et en produisant localement les matériaux de construction. L’acquisition de technologies de pointe et la formation des ingénieurs s’avèrent également nécessaires pour construire des logements durables et de qualité. Des investissements qui pourraient exiger une importante collaboration entre le secteur public et le secteur privé.

Alors que les projets d’infrastructures sur le continent font la part belle aux routes, aux ports, où à l’électricité, remettre le secteur du logement abordable au cœur du développement pourrait permettre à l’Afrique de mieux faire face au boom démographique qui devrait entraîner un doublement de sa population, d’ici 2050.

Moutiou Adjibi Nourou
Agence ECOFIN