L’affaire "Bassolé", du nom de l’ancien ministre burkinabè des Affaires étrangères continue de susciter des polémiques. Incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA), il est suspecté d’avoir eu un entretien téléphonique avec le président de l’Assemblée nationale ivoirien, Guillaume Soro dans l’objectif de soutenir le coup d’Etat de septembre 2015. Sauf que les bandes du supposé entretien, qui ont été publiées sur Internet, n’ont pas encore été authentifiées.
De l’avis de Maitre Kéré, cette "non authentification" des bandes suffit à remettre en liberté provisoire l’accusé, sous peine de bafouer la présomption d’innocence

Est-il encore besoin d’expliquer au justiciable « lambda » ce que c’est que la présomption d’innocence, principe cardinal protecteur des libertés individuelles et collectives qui veut que personne ne soit « jugé » ou considéré comme « coupable » d’une quelconque infraction par quiconque, soit-il un ennemi juré ou un adversaire politique patenté, tant qu’une décision définitive d’un Tribunal compétent et légalement constitué ne soit devenue définitive ou passée en force de chose jugée selon le jargon consacré ?

L’affaire du Général Djibril BASSOLE, a pris une telle tournure nauséabonde qu’en tant que puriste du droit, il convient d’éclairer les burkinabè et le peuple burkinabè ainsi que l’opinion publique internationale sur la nécessité de respecter impérativement la présomption d’innocence de ce Monsieur, n’en déplaise à certains commentateurs zélés et profanes du droit de tous poils et de mauvais alois, aux « oiseaux » de mauvaise augure et, par voie de conséquence, de prôner, juridiquement, la mise en liberté provisoire immédiate, sans délai, dans l’attente d’un jugement au fond, qui déterminera si oui ou non la culpabilité de ce Général est avérée ou pas, (si une ordonnance de non-lieu du Juge d’instruction n’intervenait pas en amont).
Tel est, en tout état de cause, la règle impérative de droit posée par le sacro-saint principe de la présomption d’innocence que le Tribunal Militaire se doit de respecter en raison même de notre ordonnance juridique, mais surtout des engagements internationaux de notre pays.
Le caractère exceptionnel du Tribunal Militaire ne peut, en aucun cas, constituer un « blanc seing » pour fouler au pied, les règles élémentaires de la procédure pénale, et notamment le principe de la présomption d’innocence. Le Tribunal Militaire ne doit, ni d’aucune manière, ni d’aucune sorte, constituer un Tribunal de la « vengeance » ou de la « revanche politique » sous peine de s’auto-disqualifier d’une juridiction républicaine au service de l’armée puisque, « rien ne doit plus être comme avant… ».

Dans une récente publication sur le fasonet, Monsieur Lassina KO, a pointé du doigt la nécessité du respect de ce principe élémentaire en ces termes : « l’ex Premier ministre de la Transition, Monsieur Yacouba Isaac ZIDA, et l’ex Président du Conseil national de Transition (CNT) Monsieur Chérif SY s’évertueront, par voie de presse, à convaincre l’opinion publique sur l’authenticité de ces bandes qu’ils ont certainement détenues et manipulées pendant que l’enquête judiciaire était en cours ».

Si, le cas échéant, cette énonciation de Monsieur Lassina KO se révélait exacte, le citoyen « lambda » ne comprendrait même pas pourquoi le Général Djibril BASSOLE serait, de ce seul fait, placé en détention provisoire et ce, depuis pratiquement plus de 11 mois ! Ce serait d’un ridicule saisissant qu’une simple bande sonore, transmise par des autorités politiques à un parquetier sous la forme d’une clé USB, serve de fondement juridique à l’inculpation et au placement d’un Général de Gendarmerie sous le régime de la détention provisoire.

Pire encore, Monsieur KO précise dans son écrit qu’au « regard des contestations qui entourent ces supposées écoutes téléphoniques, et de l’exploitation médiatico-politique qui en a été faite au cours de l’enquête sur la commission rogatoire, une expertise d’authentification s’avérait nécessaire. Mais, à la grande surprise de l’opinion nationale et internationale, le Commissaire du Gouvernement près le Tribunal Militaire déclarait au cours d’une conférence de presse le 7 février 2016, soit 5 mois environ après l’ouverture du dossier ceci : « jusqu’à preuve de contraire, nous n’avons pas authentifié ces écoutes … ». Pourtant, le Général Djibril BASSOLE a été inculpé et placé en détention provisoire sans que cela ne choque le commun des mortels.

Et Monsieur KO d’additer : « Il (le Commissaire du Gouvernement) précisera en outre que « les sons sont toujours sous scellés ».
C’est donc dire qu’à la date de ce jour, et selon les indications de Monsieur KO, « … ces supposées écoutes téléphoniques, en l’occurrence celles mettant en cause Messieurs BASSOLE et SORO, ont été transmises au juge sur une clé USB et que celui-ci ignorerait l’origine tant de la clé que de son contenu, mais qu’il lui aurait été demandé par les autorités politiques de les considérer dans le dossier BASSOLE… ». Dont Acte ! Dans ces circonstances de droit, mêlées de faits invraisemblables, le maintien de l’inculpation et du mandat de dépôt du Général BASSOLE a t-il encore un sens juridique, eu égard à l’annulation « de jure » du mandat d’arrêt du Président SORO ?

N’étant pas constitué dans le dossier du Général BASSOLE, j’entends conserver durablement toute la liberté d’expression élémentaire qui sied dans un Etat de droit pour apprécier une telle « saga judiciaire » pour ne pas dire un « acharnement judiciaire », si telles sont, véritablement les preuves ou les pièces à conviction sur lesquelles se sont fondées les autorités de poursuite militaire pour inculper, puis placer en détention provisoire un Général de Gendarmerie. Ces preuves seraient, le cas échéant, vraiment minces si on sait que des manifestations sont organisées de ci, de là, à travers le pays, pour réclamer la libération provisoire du Général Djibril BASSOLE.

Pour avoir défendu dans un dossier d’un civil inculpé devant ce Tribunal dont la suppression est réclamée à cor et à cri par certains justiciables qui la trouvent inappropriée en temps de paix, je puis affirmer ici et maintenant avec force et courage patriotique et ce, sans risque de me tromper, que le Parquet Militaire actuel est « friand » de la notion d’atteinte à l’ordre public pour apprécier l’opportunité des libérations provisoires souvent accordées par les Juges d’instructions, mais retoquées par ce Parquet Militaire, un et indivisible.
Au vu des éléments exposés par Monsieur KO, objectivement, pour une justice militaire qui se respecte, la liberté provisoire du Général BASSOLE est devenue une évidence procédurale si tant est qu’une clé USB, communiquée par des autorités politiques de la transition en a constitué le fondement juridique. Ce qui serait extrêmement inquiétant pour la sécurité juridique des citoyens burkinabè….pour la simple raison qu’il ne suffit pas d’une clé USB de conversation téléphonique occulte et « sauvage » pour inculper tel ou tel citoyen. Le Droit burkinabè perdrait, ce que la délation aurait gagné en dénigrement…
Le droit pénal processuel qui est un droit pratiquement mathématique avec des règles strictes, ne peut et ne doit s’encombrer des affres de certaines autorités politiques dans la conduite de n’importe quelle procédure pénale, mais bien au contraire, c’est dans le strict respect des principes cardinaux de la procédure pénale que le Tribunal Militaire trouvera la sève vivifiante de sa raison d’être afin d’échapper au « peloton d’exécution » de ses détracteurs.

Libérer le Général Djibril BASSOLE dans l’attente d’une décision de non-lieu ou de renvoi devant la Juridiction de jugement ne semble constituer aujourd’hui, au vu des éléments exposés par Monsieur KO, une épreuve insurmontable par les juridictions de poursuites et d’instruction du Tribunal Militaire de Ouagadougou.

C’est pourquoi il convient d’opiner à l’instar de Monsieur KO à l’égard de qui il n’existe aucune raison de douter de sa parfaite bonne foi si l’on y prend garde que « l’on est en droit de croire que cette question d’écoutes téléphoniques risque, à n’en point douter, de porter un autre coup dur à la crédibilité de la juridiction militaire de notre pays….
Monsieur Lassina KO conclut : « Il ne fait aucun doute que la tentative d’insertion de ces supposées écoutes téléphoniques aux origines douteuses connaitra le même sort.
Le principe de « judiciarisation » des écoutes (c’est-à-dire toute écoute effectuée par une autorité publique doit être décidée par un magistrat) et celui de la « loyauté » de l’administration de la preuve en matière pénale (l’autorité publique ne peut recueillir des preuves en dehors du cadre légal) sont deux arguments qui militeront indéniablement en faveur » d’une liberté provisoire immédiate et d’une ordonnance de non-lieu subséquente au profit du Général Djibril BASSOLE, sinon, la juridiction de jugement ne manquera certainement pas d’acquitter ce dernier. C’est aussi simple que ça, juridiquement.

Paul KÉRÉ
Docteur en Droit
Avocat au barreau de Nancy