Il n’est plus tolérable de nous laisser dérouter de nos problèmes publics et de nos défis. Personne d’autre que les fils de ce pays ne peut y mettre un nom !
I. Vaincre la peur, l’absence de vigilance et de participation citoyenne
Ouvrir les yeux à une telle nécessité, pour un peuple qui sait prendre ses responsabilités, est aujourd’hui un préalable à la détermination du modèle de participation citoyenne aux combats qui s’imposent à nous. Depuis la colonisation, le Burkinabè est caractérisé par certaines qualités qui le prédisposent à tout engagement patriotique. Encore faut-il qu’il en soit convaincu ! C’est le secret de la renaissance de ce pays. Il faudra alors compter avec une déception dont la profondeur est proportionnelle à la faillite organisationnelle et morale de groupes sociaux traditionnellement porteurs de l’exercice de vigilance et de remobilisation citoyenne : chefferie coutumière, religieuse et société civile.
Lorsque l’on écoute les confidences et les récriminations, à travers échanges et médias, l’on perçoit dans le Burkinabè actuel, un citoyen, le plus souvent, désorienté, incrédule, apeuré et réservé sur toute idée d’organisation. Par peur surtout de sa solitude, les religions sont encore peu touchées. Mais jusqu’à quand ? Malheureusement, l’État n’a pas d’alternative à substituer à la relative sécurité d’une assurance à l’appartenance d’un groupe religieux. Comment le citoyen peut-il alors satisfaire son besoin d’émancipation ?

II. La course effrénée du citoyen vers une identité culturelle

La solution que les Burkinabè ont trouvée, et dont les réseaux sociaux s’en font l’écho ces derniers temps, c’est de courir vers la connaissance de soi. Ce que ces derniers laissent faiblement entrevoir, et que l’on peut comprendre en échangeant avec certains citoyens, c’est que cette course qui a renforcé l’importance de la culture sur la construction de l’unité nationale et du développement, est un couteau à double-tranchant.
Cette action de recours identitaire, par le fait qu’elle n’a quasiment jamais été portée par l’État, à travers l’école, n’est pas toujours pavée de bonnes intentions. Plus généralement, il s’agit pour le citoyen de satisfaire un besoin de conforter des préjugés de suprématie identitaire ou de lire dans son histoire les prémices d’une culture insoumise à telle ou telle groupe ethnique, dans le cadre de quelque chose qu’il est malsain de nommer actuellement.

III. Les dégâts sur le vivre-ensemble

Qui sommes-nous réellement ? Sans une réponse claire et dépourvue d’ambiguïté à cette question dans la mémoire du citoyen, nul projet de construction d’une nation durable ne pourra prospérer. Même si l’on ne peut s’empêcher d’accuser l’État de faillite dans son devoir de construction et de transmission générationnelle d’une mémoire nationale, il faut reconnaître qu’en face, les vrais détenteurs de cette connaissance, la chefferie coutumière, ne lui ont pas facilité les choses non plus. Avec la guéguerre dans certaines cours royales sur leur identité, il faut craindre que cette course effrénée du citoyen vers une identité culturelle ne débouche sur la construction d’histoire erronée et enfonce davantage le pays.
Le sort a placé sur notre chemin deux urgences intimement liées : savoir qui nous sommes et combattre les défis nouveaux.

IV. La caricature des défis nouveaux

Ils sont imputables à la mondialisation, certes, mais comme aucun État n’y échappera, on dirait qu’ils sont plus la conséquence de notre impréparation à la mondialisation, par un contexte de services publics et d’organes institutionnels embryonnaires et très faibles. C’est pourquoi l’objectif du marché de les détruire est très facile chez nous. Il faut s’attendre, en plus du terrorisme, à découvrir en même temps un processus de dérèglementation, d’appauvrissement et démantèlement des services publics, d’ouverture sauvage de notre marché à une concurrence féroce, de destruction des protections de salariés et de citoyens, auxquels nos dirigeants seront impuissants. C’est une puissante machine à laquelle des pays comme les nôtres ne peuvent s’y opposer que par une union interne. Ce qui ne se peut sans un citoyen nouveau, convaincu et formé aux valeurs ancestrales : la solidarité, le partage et l’amour !

V. Donner du pouvoir au citoyen sur la base de modèles endogènes

Le Burkina Faso a été choisi par Macron pour lancer son discours sur le renouveau des relations franco-africaines. Selon Jacques Attali, ce président serait une fabrication du marché, imposé à la France. Pourquoi le choix du Burkina ? Ce pays venait de relever coup sur coup les défis d’une insurrection et d’une farouche opposition à un coup d’État. Ce qui n’est pas rien. Laisser se développer un tel appétit, dans une population majoritairement jeune, désœuvrée et révoltée était dangereux.
Un adage du terroir dit « Fô tinguim n’doumbou », pour dire « Tu me rappelles que je peux mordre ». Alors utilisons cette arme pour nous défendre. De quoi s’agit-il ? Il faut obliger l’État à donner le pouvoir au citoyen pour que naissent cette solidarité et cette organisation qui fondent la puissance de nos communautés. Ainsi, il ne se sentira plus fragilisé et obligé de trouver refuge dans aucune communauté ou aucun groupe social quelconque, à travers laquelle faire entendre sa voix, au point que ce besoin soit transformé en fonds de commerce, puis en arme contre l’État.

VI. À quoi renvoie une telle philosophie ?

Dans la mesure où nous sommes embarqués dans la modernité, la gestion de notre société doit exclusivement être orientée vers la satisfaction de l’intérêt général. Mais, c’est la puissance d’un système de redevabilité, dont l’obligation pèse sur tout citoyen, tout agent public et tout gestionnaire public, qui crée une société juste. Malgré tant de temps, la société moderne burkinabè n’est pas du tout juste. Cela ne veut pas dire que nous avons hérité de sociétés vierges de ces concepts, puisque des études révèlent parfois des sociétés traditionnelles mieux gérées et plus justes dans notre pays. Le Burkina Faso de la 4ème République doit en prendre de la graine.
On a longtemps qualifié ces communautés du terme abject de
« sociétés acéphales », par mépris et méconnaissance d’un modèle primitif d’organisation sociétale, qui place la justice, la solidarité et la spécialisation des tâches sociales au cœur de la vie publique. Les "services publics" de l’époque étaient donc rendus par chaque groupe en fonction de sa spécialité et les "décisions publiques" étaient discutées et adoptées suivant une démarche axée sur la quête du consensus.
En domestiquant ces modèles et en les implémentant, la RDP [Révolution démocratique et populaire, DLR] a introduit dans notre gouvernance, des mécanismes qui vont faire tache d’huile et impacter à bien d’égards la gestion publique moderne. Ce que l’on appelait avant les Structures Dirigeantes de l’Exécutif Révolutionnaire (SDER) ont engendré des instances décisionnelles encore efficace à ce jour pour porter la voix du citoyen, même si l’abandon des plus significatives d’entre elles a négativement influencé la qualité de notre redevabilité publique et notre protection contre le marché.

VII. Réduire l’influence du marché sur notre gouvernance publique

La peur de Macron, en se précipitant à Ouaga, réside bien là. Mais, si le Burkina Faso veut se bâtir un avenir et éviter une désintégration probable, il lui faut donner du pouvoir au citoyen et, à défaut de parvenir à exfiltrer le marché de sa gouvernance publique, réduire considérablement son influence.
Nombre de spécialistes répètent à longueur de conférences l’impuissance et la perte de pouvoir des dirigeants face à la puissance du marché. Mais cette influence craint un pouvoir diffus, dissimulé dans toute la société, comme celui des sociétés sans chef de notre histoire. Ceci est d’autant plus juste que, dans Discours de la servitude volontaire, Étienne de La Boétie (1574) écrivait ceci : « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres ». Si nous ne servons plus le marché, alors nous serons libres et l’exemple à suivre. Pour cela notre pouvoir doit être insaisissable pour être mis sous joug.

VIII. Comment faire exercer au citoyen son nouveau pouvoir ?

Le modèle de gouvernance que la RDP avait institué nous donne la pleine mesure de nos capacités et surtout de l’espoir qu’en faisant autrement nous pouvons mieux réussir notre développement, avec moins de dommages.
Il faudra alors rééduquer le citoyen à assimiler que l’État auquel on lui demande de prendre une part active, est un système de solidarité, dans lequel chacun voit peser sur lui l’obligation de participer à l’action de base, l’obligation de gérer l’action publique, l’obligation de rendre compte de son action. Le parfait exemple est donné par le fonctionnement d’une tontine dans les groupements féminins. C’est cela l’autogouvernement de tous, par le consensus ou l’acceptation du scrutin majoritaire en fonction des contextes. C’est là toute la source de l’indécence d’un propos comme « je ne fais pas la politique » !
Au stade où se trouve notre pays, avec le franchissement du seuil d’ingouvernabilité, une progression de la rébellion du citoyen contre l’État, il ne peut y avoir d’alternative plus pertinente que de donner de cette façon le pouvoir au citoyen lui-même. C’est une démarche qui a le mérite d’être saine, endogène, et qui garantit une gestion participative et consensuelle de l’État.
Après cela, aucun citoyen imprégné de l’État et impliqué, ne devrait rejeter la politique, parce qu’il serait lui-même, la politique faite citoyen, qui comprend sa participation, les mécanismes de distribution des services publics, de gestion de l’intérêt général et de pouvoir. C’est la voie pour fabriquer un développement équitable et une paix sociale permanente.
Tout ceci dépend du contrat social entre les citoyens : une constitution juste, bâtie avec l’éthique de la responsabilité, la sincérité du constituant, du citoyen et des acteurs de l’État.

Ousmane DJIGUEMDE
oustehit@hotmail.fr
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