Révélé au grand public aux moments les plus critiques du COVID-19, le Docteur Louré avait jeté un pavé dans la marre en déclarant que parmi les personnes décédées du COVId-19, aucune n’avait été admise en réanimation. Des propos qui avaient choqué l’opinion et mis à nue le dysfonctionnement des services sanitaires dans la prise en charge des malades.
Dans le texte ci-contre pris sur sa page Facebook, il tire la sonnette d’alarme : si rien n’est fait, le tout nouveau hôpital de Bogodogo où il officie, risque de connaitre le même sort que ceux de Tingandogo et de Yalgado.

L’hôpital public Burkinabè est sans avenir. J’aime bien cette phrase, car elle reflète mon sentiment actuel pour l’hôpital public Burkinabè, tant nous n’avons jamais développé une conception mentale d’un hôpital qui fonctionne : alors comment exécuter quelque chose qui n’a pas été conçu mentalement ? Joli hôpital, aime à le dire certains ; certes de l’extérieur le CHU de Bogodogo est mirifique, mais de l’intérieur c’est de plus en plus du désarroi : un hôpital non réceptionné, d’énormes insuffisances dans la réalisation des infrastructures, des ruptures quotidiennes, et bientôt la démotivation du personnel soignant.
Ma tristesse est grande parce que à cette allure, je sais que dans quelques années le CHUB tombera dans les mêmes travers que le CHUT et le CHUYO. Cette peine est encore exacerbée quand je sais que même si nous construisions un hôpital de référence répondant aux normes internationales, nous tomberons dans les mêmes décadences dans les mois qui suivront : car nous n’avons jamais développé notre conception mentale de l’hôpital qui doit fonctionner.

Lorsqu’une salle opératoire reste fermée pendant des mois juste parce que les scialytiques ou la climatisation ne fonctionnent pas, là tu comprends que nous n’avons pas la conception mentale d’un hôpital qui fonctionne. Lorsque l’imagerie, la biologie, la pharmacie hospitalière d’un hôpital peine à fonctionner, là tu comprends que nous n’avons pas la conception mentale d’un hôpital qui fonctionne. Quand on ouvre un CHU qui n’a aucune indépendance en matière d’eau courante, et cela depuis des années, là tu comprends que nous n’avons pas la conception mentale d’un hôpital qui fonctionne. Quand au quotidien nous passons de réunions en réunions, de formations en formations, alors que le malade manque d’une simple feuille de consultation, là tu comprends que nous n’avons pas la conception mentale d’un hôpital qui fonctionne. Je peux continuer à citer les dérives de nos hôpitaux, mais cela n’est une surprise pour personne. Et cet état des faits s’explique par le simple fait que nous n’avons pas mis le malade au centre de nos préoccupations. Car du ministère de la santé au vigile qui est à la porte de l’hôpital, en passant par les administrations de nos hôpitaux, la question principale n’a jamais été : comment améliorer le séjour d’un malade dans nos hôpitaux ? De même, lorsque nous disons que le budget du ministère de la santé est de tels milliards, quelle est la part de ce budget qui sera orientée réellement vers la santé de la population ?

Aujourd’hui le CHUB fonctionne un peu mieux grâce à la jeunesse et à la volonté de son personnel soignant. Mais jeunesse passe et volonté se démobilise aisément lorsque le sentiment d’abandon persiste.

Aujourd’hui nous avons besoin d’une réforme sincère de la gestion de nos hôpitaux (pas des états généraux qui n’accouchent même pas d’une petite souris). Une réforme qui portera sur non seulement les procédures administratives d’acquisition de matériel, de financement, de gestion du personnel, des contrôles financiers, mais aussi une réforme sur la conception d’un hôpital qui fonctionne pour ne pas dire d’un système de soins qui fonctionne en interconnectant nos différents centres de santé de manière réelle, et cela dans le soucis de mettre le malade au centre de nos préoccupations.

Dr Arouna Louré
Médecin, anesthésiste réanimateur au CHU Bogodogo