Chercheur à la retraite, le Pr Basile Laetare Guissou a dirigé le Centre national de la Recherche scientifique et technologique (CNRST) de 2004 à 2014. Sous la Révolution démocratique et populaire, il a occupé successivement les postes de Ministre de l’Environnement et du Tourisme (1983-1984), Ministre des Relations Extérieures et de la Coopération (1984-1986), puis Ministre de l’Information (1986-1987). Militant depuis ses années étudiants, il a été très actifs au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), de l’Association des étudiants voltaïque en France, de l’Union des Luttes communistes (ULC), de l’Union des Luttes communistes reconstruites (ULC-R)du Congrès pour la démocratie et du progrès (CDP) et aujourd’hui du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). A l’en croire, certains Burkinabè aiment les jugements de valeur sans pour autant connaitre souvent les acteurs qu’ils jugent. « Je pense que mon pays ne recule pas, n’en déplaise à ses détracteurs. Que ceux qui peuvent faire mieux se présentent en 2020. Qu’ils aillent battre le MPP et Roch Kaboré aux élections de novembre prochain et faire avancer le pays », a-t-il confié à Bendré au cours de l’interview qu’il nous a accordée.

BENDRE : Depuis près de 5 mois, c’est le virus de la covid-19 qui ébranle le monde. Les grandes puissances occidentales ne finissent pas de compter leurs morts. Est-ce que ces événements vous ont vraiment surpris ?

BASILE GUISSOU : Comme tous les humains vivants sur cette terre, je ne peux pas dire qu’on pouvait prévoir une pandémie de cette nature qui ne ségrégue
personne : ni riche ni pauvre, ni grand ni petit, ni fort ni faible, ni femme ni homme sur toute la planète. Ceci dit, je crois que cette pandémie aura eu le mérite de montrer les limites de l’humain et de nous ramener à plus d’humilité et de modestie. Il n’y a pas de grand, pas de puissant. Le Burkina Faso de 274 200 kilomètres carrés pour moi est une puissance, une superpuissance. Ce n’est pas un petit pays. Il n’y a pas de petits pays pour moi. Ce que n’importe quel pays au monde peut réussir, mon pays aussi peut le réussir. Voilà ma position de principe. Je pense que cette pandémie vient réveiller ceux qui dormaient sur leurs lauriers parce qu’on les avait classés à partir de 1945 comme première puissance mondiale ou G8 ou G7, première économie, première puissance militaire, etc. On parlait du consensus de Washington, de la création de la Banque mondiale et du FMI, la régulation du commerce mondial avec l’OMC, etc. Tout est à terre aujourd’hui. Il faut rebattre les cartes. Et dans ce mouvement, personne n’est premier, personne n’est dernier. Je crois que le monde est en train de se recomposer. Et nous aurons tort de nous croire petits, pauvres, faibles, incapables de rien.

Est-ce le début de la fin du pouvoir néolibéral ?

La puissance des médias fait que des fois, on ne sait pas qu’il y a des pays qui s’appellent Cuba, Corée du Nord, Russie ou encore République populaire de Chine. Tout le monde, c’est Washington, c’est Londres ou Paris. Je ne suis pas dans cette optique. Ce n’est pas aujourd’hui que cette recomposition anti-néolibérale a commencé. Même dans les pays libéraux, des auteurs montrent la faillite d’un monde qui s’est fractionné en deux entités dites gauche ou droite ou bien capitaliste ou communiste qui se retrouvent tous en train de rechercher un nouvel ordre. Nous sommes à la recherche d’un ordre nouveau pour équilibrer le monde et nous permettre tous d’exister sur un même pied d’égalité les uns envers les autres. Aujourd’hui devant le virus, je ne sais pas si le Burkinabè est plus petit que le Français ou le Chinois. On est à égalité. Je suis fier de voir que Madagascar a fait une proposition, le Burkina Faso aussi à travers le chercheur béninois Valentin Agon a fait une proposition qui est en débat. Le professeur Didier Raoult à Marseille a fait sa proposition en disant qu’il est à moitié Africain et qu’il a avalé les comprimés comme des galettes de tô au Sénégal. Cela fait partie de l’immunisation presque naturelle dont les Africains bénéficient. C’est un bon débat, un débat sein.

Vous êtes chercheur, ancien DG du CNRST. Comment appréciez-vous l’apport des chercheurs burkinabè dans la gestion de cette pandémie ?

J’ai été informé par un de vos collègues qui m’a demandé ce que je pense du bilan de la recherche au Burkina Faso. Je lui ai dit que j’étais fier d’avoir dirigé pendant 12 ans le CNRST du Burkina Faso et pouvoir parler des résultats de ses instituts. Ce centre a pu engranger un capital dans les quatre domaines à savoir la santé, l’agriculture, les sciences et technologies appliquées et les sciences sociales et humaines dans lesquelles, j’ai exercé pendant 35 ans. En dehors des 4 ans que j’ai passé au gouvernement (Ndlr, 1983-1987), je n’ai travaillé qu’à la recherche scientifique. Et dans tous les quatre domaines, le Burkina ne peut pas ne pas figurer dans le top 10 au moins. En 2008, on a fait une évaluation des 50 dernières années des plus grands chercheurs de l’Afrique. Et sur les 50, il y avait 8 Burkinabè. Donc je pense que ce n’est pas de la prétention, ce sont des faits. Le seul pays au monde qui peut dire qu’il a fabriqué un médicament contre la drépanocytose dans son institut de recherche en sciences de la santé, c’est le Burkina Faso et c’est le FACA qui existe en comprimés comme en sirop qui traite et soigne la drépanocytose. Je prends l’agriculture. Il n’y a pas une céréale du Burkina Faso qui n’a pas été transformée par les chercheurs burkinabè pour la rendre plus rentable. Par exemple, pour le maïs, nos grands-parents n’ont jamais pu produire une tonne de maïs à l’hectare à cause de la semence. Les chercheurs burkinabè ont travaillé à améliorer cette semence-là. Vous avez au moins 10 variétés de maïs aujourd’hui qui font au moins 6 à 10 tonnes à l’hectare. Des producteurs viennent des pays voisins pour acheter la semence au Burkina Faso. Le niébé, c’est pareil. En Sciences sociales et humaines, en Linguistique précisément, il n’y a pas un pays dans la sous-région qui a une carte linguistique. Le Burkina a cela depuis 1981. En sciences et technologie appliquées, on a l’IRSAT qui a sorti la première machine à nettoyer le fonio. Vous savez que c’est très pénible. En dehors de cela, on a des chauffes eaux solaires qu’on fabrique au Burkina Faso. Et ce sont des fruits de la recherche.

Il est évident qu’au sortir de cette crise-là, l’économie mondiale s’en trouvera touchée. Cela signifie que les économies des pays subsahariens qui étaient sous perfusion vont en souffrir plus. Quelles peuvent être les solutions alternatives pour relancer nos économies ?

L’Afrique, c’est l’avenir du monde. L’humanité ne peut pas se sauver en faisant fi de la place et du rôle de l’Afrique. L’Afrique, c’est 3,3 millions de kilomètres carrés. C’est 1,250 milliard de population qui a 70% de moins de 30 ans. C’est la population la plus jeune du monde. En 2050, l’Afrique doit doubler sa population. On sera à près de 3 milliards d’habitants et ce sera la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’une population double dans cette limite de temps. Ce sont des bouleversements importants. L’Afrique, c’est 60% des terres agricoles du monde, c’est 40% de l’or du monde. L’Afrique, c’est 30% du diamant du monde. L’Afrique, c’est 100% du coltan qui sert à faire nos appareils électroniques. Si les Africains préfèrent dormir, c’est tant pis. Si les Africains ne profitent pas de leur capital et du désordre mondial actuel à travers la remise en cause de l’équilibre qui avait existé jusqu’aujourd’hui, c’est tant pis pour nous.

Concrètement qu’est-ce qu’on doit faire ?

L’Afrique n’a besoin de personne. Madame Dlamini Zuma (Ndlr ancienne présidente de la commission de l’Union Africaine) m’a épaté lorsqu’elle a déclaré dans le Journal Jeune Afrique qui lui a posé la question de savoir quel est son rêve pour l’Afrique. Elle a répondu : « J’aimerais me lever le matin prendre la clé de ma voiture et prendre l’autoroute Addis Abeba-Dakar et redescendre jusqu’au Cap sans qu’un douanier ou un policier me demande des papiers ». C’est tout. Ce n’est pas plus compliqué que cela : la liberté d’aller et venir partout sur le continent noir. On n’a pas besoin d’aller au Canada, aux USA, à Paris. Tu veux la neige ou la mer ? Il y a la neige et la mer en Afrique.

Pourquoi avons-nous jusque-là échoué à faire cette unité ?

Nous n’avons pas échoué. Comme le disait Joseph Ki-Zerbo, l’Afrique n’est en retard par rapport à personne. Ce sont les Africains qui se laissent intimider et qui acceptent qu’on dise qu’ils sont en retard. Nous aurons une trajectoire à nous comme les Chinois qui vous disent qu’ils ne veulent pas construire la démocratie de quelqu’un, mais la démocratie chinoise. L’Afrique ira à son rythme avec ses moyens, avec ses enfants et son leadership. Je pense qu’on est libre de rêver. Mais on n’aura jamais 54 Thomas Sankara à la tête des 54 Etats africains le même jour.

Parlons de la gestion de la Covid-19 au Burkina Faso. Il y a eu trop de laxisme et d’amateurisme. Le coordonnateur national de la riposte, le Pr Martial Ouédraogo, a été relevé de ses fonctions. Des citoyens ont réclamé le départ de la ministre en charge de la Santé, Claudine Lougué qui a reconnu avoir menti devant le Parlement. Mais votre parti, le MPP lui a réitéré son soutien…

Je soutiens notre ministre de la Santé. C’est une tempête dans un verre d’eau. Je préfère ne pas en parler. Ce n’est pas un problème pour moi.

Ah bon ? Même quand la ministre reconnaît avoir menti devant toute la représentation nationale ?

Toegui de L’Observateur Paalga a dit qu’elle ne peut pas avoir menti parce qu’elle ne savait pas qu’elle ne disait pas la vérité. C’est clair. C’est tout. Cela peut nous arriver tous. Mais cela ne change rien à ce que le Pr Lougué est une radiologue de haut vol. Il n’y a rien à dire. Personne ne l’a attaquée sur sa qualité de médecin. C’est un être humain comme vous et moi. C’est une maman comme les autres. Soyons humains. Acceptons-nous. Non, je refuse ces jugements à l’emporte-pièce.

Mais de façon globale, la gouvernance du Faso est de plus en plus décriée par les citoyens. Vous ne voyez pas cela ?

Ecoutez-moi, ce régime, ce gouvernement n’a pas fait un coup d’Etat. Il a été élu. C’est un parti élu qui est au pouvoir. C’est aussi un président élu qui est au pouvoir. Il faut attendre. A la fin du mandat, il peut être réélu ou rejeté. Mais avant cela, les critiques vont fuser parce qu’il y a d’autres qui veulent la place et c’est normal.

Non professeur. Tous ceux qui critiquent le pouvoir ne veulent pas forcement le pouvoir…

Il y a du tout dedans. Les plus intéressés, les plus acerbes, ce sont ceux qui veulent le pouvoir. Il y a du vrai, du faux, des renards et des margouillats.

Depuis un certain temps, on a l’impression que ce qui a fondé l’essence du Burkinabè à savoir le travail, l’honneur, l’intégrité a foutu le camp. Est-ce que vous faites le même diagnostic ?

Nous sommes 20 millions de Burkinabè. Nous avons 150 000 fonctionnaires et près de 150 000 salariés du privé. En tout, 300 000. Il reste 19,7 millions de citoyens. Eux, ils sont dans les villages, dans les zones non loties, dans les marchés et yaars. Vous croyez qu’ils ne travaillent pas, qu’ils sont des voleurs, des détourneurs et des corrompus. Non. Ce sont ces personnes qui m’intéressent. En tant que chercheur, j’ai été payé pendant 35 ans pour m’occuper de ceux-ci. Je ne m’occupe pas d’indemnités, de primes ou d’IUTS. Je pense qu’il faut lever les yeux au-dessus de notre petit microcosme de fonctionnaires des villes pour savoir que le Burkina, ce n’est pas seulement des villes et que le Burkina Faso, ce ne sont pas seulement des fonctionnaires.

Les syndicats des fonctionnaires ont été clairs. Ils sont opposés à l’extension de l’IUTS sur les primes et indemnités…

J’ai été toujours contre les privilèges de quelle que nature que ce soit. Vous parlez à quelqu’un qui a touché 135 000 francs CFA comme ministre pendant 4 ans. Je perdais cent mille francs de mon salaire de chercheur. Je ne peux pas rentrer dans ce débat. Si on ne peut pas se sacrifier pour son pays, on n’a pas le droit d’exister.

A votre temps, vous perdiez cent mille francs de votre salaire parce que vous étiez au gouvernement. C’est tout le contraire de ce qui se passe aujourd’hui. Il se susurre que des ministres ont signé des contrats avec l’Etat pour se tailler de gros salaires au détriment du décret de 2008 qui fixe le salaire des membres du gouvernement. Vous êtes acerbes quand il s’agit des travailleurs mais quand ce sont des ministres qui se tapent illégalement de gros salaires, on ne vous entend pas dénoncer cela…

C’est vous qui m’apprenez cela. Franchement, je suis loin de tout cela aujourd’hui. Parce qu’un salaire de ministre ne peut pas faire avancer ou reculer un pays. Ce n’est pas vrai.

Et c’est le salaire du simple fonctionnaire qui ne touche pas grand-chose qui peut faire reculer le pays ?

C’est la même chose. Le salaire de fonctionnaire, ça sert à consommer, à dépenser. Le salaire de ministres c’est aussi pour consommer, ça ne développe pas le pays. Moi je veux de l’argent qui développe. Tout ce dont vous parlez, c’est de l’argent qui sert à consommer. Excusez-moi, je préfère qu’on discute de la distribution des semences aux paysans pour l’augmentation de la production agricole, le fourrage pour le bétail de trait pour les 19,7millions de Burkinabè plutôt que de trois cent mille salariés, ministres compris. Je ne vois pas c’est où le problème. Trente-cinq mille francs CFA par mois, c’est le SMIG. C’est une fortune pour un paysan. Mais en ville, ce sont les derniers salaires. Soyons réalistes. Notre problème, c’est le salariat ?

Que faire donc ?

Je pense avoir contribué pour trouver des solutions. J’ai fait partie d’un gouvernement qui a imposé le sacrifice pour permettre au pays d’avoir plus de dispensaires, plus d’écoles, d’ambulances et de médicaments dans les dépôts. Je ne juge pas. Je pense que j’ai fait ce que j’ai pu. Aujourd’hui en 2020, c’est utopique de penser qu’on peut s’amuser à reproduire ce qui s’est passé sous la révolution démocratique et populaire. On est dans un monde totalement différent. Il faut donc inventer d’autres solutions. On n’a pas le choix. Si on ne veut pas reculer, il faut qu’on avance. Je ne crois pas que le Burkina Faso soit pire que d’autres. Les ministres qui sont là ne sont pas les pires ministres de l’Afrique. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Maintenant, l’opinion a son droit de critiquer, son droit de trouver que les privilèges octroyés à des ministres sont énormes. L’essentiel pour moi, c’est que leur travail serve à faire avancer le pays, à motiver la production agricole, à améliorer la santé, la scolarisation, la lutte contre la pauvreté, etc.

En tous cas, le constat que l’on fait, c’est que plusieurs Burkinabè sont très acerbes vis-à-vis de votre régime. Ils estiment que ce pouvoir n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Un avocat a même soutenu que le Burkina Faso est en train d’expérimenter un des gouvernements les plus médiocres de son histoire. Qu’en dites-vous ?

Je suis désolé mais je pense que ça c’est du verbiage. A l’heure actuelle, tout le monde est expert en tout dans notre pays. Un avocat n’est pas un homme politique. Je ne suis pas d’accord. Je pense que la politique, c’est une science. Ce n’est pas à un avocat ni à un syndicaliste d’apprendre à des ministres à faire la politique ou à diriger leur ministère. Il faut arrêter. C’est de l’amalgame, c’est de la confusion.

En tant que citoyen burkinabè, ils ont le droit d’opiner sur la gestion du pouvoir et de qualifier la gestion actuelle. Oui ou non ?

Ce n’est pas la critique que je refuse. C’est le jugement de valeur. Quand vous dites, que c’est « le plus médiocre des gouvernements », je refuse (le ton monte). Toi tu es qui ? A partir de quoi tu dis cela ? C’est quelle expérience celui qui dit ça a des gouvernements africains et des gouvernements burkinabè pour dire que c’est le plus médiocre. Ce sont des propos dangereux. Cela rejoint une phrase que les gauchistes français utilisaient et qui disaient : « A bas tout, vive rien ». C’est de l’anarchie en réalité. C’est vers cela qu’on est en train de partir avec ces propos. Cet avocat n’est pas plus patriote que les ministres qui sont là, ils n’aiment pas plus ce pays que les ministres qui sont là. Il a fait quoi pour qu’on puisse dire qu’il est mieux qu’eux. On se connait dans ce pays. C’est un pays de savane. Le pays est plat, on sait qui est qui. Il faut critiquer et proposer mais passer le temps à faire des jugements de valeur sur des gens parfois même qu’on ne connait pas, ce n’est pas juste. Et parfois, tu n’es pas capable de faire mieux qu’eux.

Comment expliquez-vous le front social qui est en ébullition depuis pratiquement le début du mandat de Roch Kaboré ?

C’est le désordre absolu, c’est l’anarchie. Tout le monde se croit obligé d’exiger tout de tout le monde.

Mais c’est vous qui tenez le gouvernail ?

Je ne tiens aucun gouvernail. C’est le MPP qui tient le gouvernail.

Vous êtes l’un des cadres de ce parti...

Oui l’un des cadres, ça je suis d’accord.

Vous faites partie des idéologues du MPP ?

Depuis 1983, on me dit cela mais je ne vois pas quel impact cela a sur les décisions que les gens prennent. Moi je n’ai jamais influencé Thomas Sankara ni Roch Kaboré par rapport aux décisions à prendre. Non. Un pouvoir, c’est un pouvoir. Un gouvernement, c’est un gouvernement. Ce sont les décisions d’un parti au pouvoir et pas des individus. Ce sont des institutions, des structures qui sont incarnées par des individus.


On entend souvent dire que si le front social est autant en ébullition, c’est parce qu’il y a des mains invisibles derrière qui tirent les ficelles. C’est aussi votre avis ?

Il y a toujours eu une main invisible. Depuis 1960, il y a eu des mains invisibles derrière les mouvements sociaux. J’étais élève en 1966, il y a eu une main invisible qui a poussé au renversement de Maurice Yameogo. Cette main invisible à l’époque, Maurice Yameogo disait : « Joseph Ouédraogo est du Ghana, Ghana c’est la Chine Pékin, Chine Pékin, c’est communiste ». Donc ça ne date pas d’aujourd’hui.


En 2020 qui est cette main invisible qui tire les ficelles et qui empêche votre parti de dérouler tranquillement ses réformes ?

Honnêtement, je pense que c’est une myriade de faisceaux de mécontents mais de revanchards aussi. L’insurrection n’a pas fait du bien à tout le monde. Il y a des gens qui estiment qu’ils ont été chassés du pouvoir et ils ne sont pas heureux. Donc, c’est tout à fait normal que ces personnes-là, nous tirent à boulet rouge chaque fois qu’ils ont l’occasion. C’est de bonne guerre. Malheureusement, je pense qu’ils ne défendent pas la bonne cause. J’encourage mon parti, mon président et le gouvernement à ne pas céder aux sirènes des pleureurs. Il y aura toujours des pleureurs. On ne peut pas poser un acte politique avec 100% de soutien. L’essentiel, c’est que l’action serve la majorité de la population. Ça ne me gêne pas qu’on diminue les indemnités de 300 milles salariés du Burkina pour régler les problèmes d’un million de réfugiés internes. Ça ne me gêne pas du tout parce que j’estime qu’un salaire au Burkina Faso, c’est un privilège. Comme le dit un de mes amis, ce n’est pas le travail qui manque au village, c’est l’argent. Et que s’il a quitté son village pour venir à Ouagadougou, ce n’est pas pour chercher du travail mais pour chercher de l’argent. Sinon le travail est au village.

Vous aviez été l’un des cadres du CDP. Aujourd’hui vous êtes cadre du MPP. Quelle est la différence entre les deux partis politiques ? Du point de vue idéologique et du point de vue de la gestion du pouvoir d’Etat.

Le CDP est une coalition civilo-militaire depuis 1987. A partir d’un certain moment, révision ou pas de l’article 37, monarchisation ou pas du pouvoir, ouverture ou libéralisme à tout vent, privatisations, etc., le débat s’était posé. Je suis de ceux qui ont dit, ce n’est pas une voie de développement. On va enrichir des individus qui deviennent de plus en plus arrogants et méprisants vis-à-vis de la majorité de la population. On n’ira nulle part en s’enfonçant dans cet égoïsme suicidaire. Nous sommes une société qui est soudée par la solidarité. On a une culture, un héritage qui n’est pas de manger laisser les autres. Il faut resocialiser. Ceux qui ont dit non, ce sont eux qui ont fui un vendredi à 13h. Nous on a continué. Encore une fois, un s’est divisé en deux selon la dialectique. Nous, nous avions étudié la politique, on n’est pas tombé dedans comme des cheveux dans la soupe. On a passé des nuits blanches pour discuter de virgules, de points sur un texte. Aujourd’hui, on voit des gens venus de nulle part, cravatés, beaux, qui savent parler et qui veulent être président, députés. Non ce n’est pas comme ça. Voilà ce qui a amené la scission au sein du CDP pour donner le MPP. C’est tout. Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Depuis la prise du pouvoir par votre parti, quelles actions ou mesures vous a le plus donné satisfaction ?

Si je sais que tous les enfants du Burkina Faso de 0 à 5 ans du nord au sud, d’Est en Ouest sont pris en charge par l’Etat en ce qui concerne les problèmes de santé ainsi que les femmes enceintes je suis satisfait. Même si l’IUTS a été appliqué à des fonctionnaires qui s’en plaignent, ça ne m’empêche pas de dormir. Quand je vois que des villages sont en train d’être désenclavés avec des pistes rurales, qu’on assainisse Ouagadougou avec des caniveaux, des infrastructures routières, qu’on électrifie des villages avec du solaire, ce qui n’a jamais été fait, je suis satisfait. Je suis satisfait des centaines de forages mis à la disposition des populations rurales. Je pense que mon pays ne recule pas, n’en déplaise à ses détracteurs. Que ceux qui peuvent faire mieux se présentent en novembre 2020. Qu’ils aillent battre le MPP et Roch Kaboré aux élections et faire avancer le pays. Point barre. Tout le reste, c’est de la parlotte. Ce sont les buveurs de Ouagadougou, qui sont dans les gargotes de Ouagadougou et qui épiloguent à longueur de journée. C’est un sport que les Burkinabè, le Ouagalais surtout aiment, moi je les regarde.

Qu’est-ce qui doit être amélioré ?

L’augmentation qualitative et quantitative de l’offre scolaire ne me satisfait pas trop parce qu’il n’y a aucun contenu qualitatif. Construire beaucoup d’écoles, c’est bien mais avoir une école burkinabè pour des enfants burkinabè est encore mieux. Nous avons toujours une école française. L’autre aspect qui reste, c’est l’agriculture et l’élevage. Les lignes bougent difficilement pour des raisons évidentes de non prise en compte des résultats et de propositions de la recherche scientifique. Des chercheurs de manière générale sentent qu’il y a du mépris eux. On regarde dehors, on attend toujours quelque chose de dehors. Alors qu’on en a sous la main. Ce pays peut se nourrir. En 1984, c’était une période difficile. La production était de 1,7 million tonnes. Sankara a fait un discours où il a dit qu’il ne veut pas aller tendre la main pour demander à manger. Il a dit qu’il veut que chaque Burkinabè (homme et femme) sache qu’il peut produire. L’année-là, on a fait de 2,2 millions de tonnes de production. On n’a pas donné un engrais, on n’a pas donné une graine de semences à un paysan. C’est pour dire qu’avec la volonté, il n’y a pas d’obstacles infranchissables. Je suis d’une école, celle de Mao Tsé Toung. A l’époque on parlait de la pensée Mao Tsé Toung. Il y a un conte qu’il reprend : comment Youkong déplaça les montagnes. Youkong est un paysan chinois. Chaque matin, il quittait sa hutte pour aller à la montagne avec sa houe. Et les gens du village lui demandent où tu vas, et il dit, la montagne m’empêche de voir le soleil. Et je veux voir le soleil. Donc je vais tailler la montagne. Les gens lui disent toi aussi comment avec une houe tu vas tailler une montagne. Il répond : « je suis un Youkong. Je ferai ma part de travail. Mes enfants seront des Youkong, ils feront leur part de travail. Leurs enfants seront des Youkong, ils feront leur part de travail. Mais un jour, un Youkong verra le soleil ». C’est de la philosophie, c’est une morale politique. La Chine en 1949 était classée entre les derniers pays du monde. Aujourd’hui, où elle est ? Donc il n’y a aucune raison de désespérer du Burkina et de l’Afrique.

Quels étaient vos rapports avec l’ancien Président Blaise Compaoré ?

Des hauts et des bas. En dents de scie. Et ça dépend des situations. Si vous refusez de faire partie du gouvernement alors qu’il vous a appelé, il peut passer un an sans contact avec vous. Vous l’appelez, il ne prend pas. Et après, s’il a besoin de vous, il vous appelle comme si vous vous étiez quitté la veille. C’est une de ses qualités peut-être. Par rapport à certains problèmes liés à la recherche scientifique, je pense qu’il nous a été utile. Si aujourd’hui, il y a un institut de sciences des sociétés qui a un siège qui trône derrière la mairie de Nongremasson, on lui doit cela. Ce projet a coûté plus de 145 millions. Aujourd’hui les chercheurs de l’INSS ont un siège. On a fait 10 ans en location à Zogona. Ce sont des choses que je lui dois.

Vous vous appelez souvent ?

Je lui ai dit que je ne veux plus passer par François pour le voir. C’était en décembre 2010.

Donc depuis décembre 2010, vous n’avez plus eu de contact avec le président Blaise Compaoré ?

Ecoutez, nous on n’a pas été des zélateurs, on n’a pas dragué quelqu’un. On n’a pas fait la cour à des présidents. Que ça soit Thomas Sankara ou Blaise Compaoré. Nous avions notre idéologie. On demandait nos points de vue, on n’avait aucun complexe. On ne cherchait pas des privilèges, on ne demandait pas de l’argent. Donc quel que soit le président qui s’adresse à nous, on lui donne notre point de vue en toute liberté. Vous pensez que c’est normal que Blaise Compaoré me donne le téléphone (numéro) de François pour avoir accès à lui ? Je dis non. Si je veux te parler, je te parle à toi. François est trop petit. C’est mon petit frère. C’est toi qui me donnais de l’argent pour aller lui remettre à New-York quand il était étudiant. Aujourd’hui, il va être mon patron ? Celui par qui je dois passer pour te voir ? On est où là ? C’est tout. Salif Diallo, c’est cela, Roch et Simon, c’est cela. Nous sommes d’une autre école. On a fait le choix d’être des étudiants qui font de la politique. Le jour, ils vont à la faculté (université) et la nuit, ils sont dans des cellules en train d’étudier la politique. C’est ça notre différence avec les autres, ceux qui disaient qu’ils ne veulent pas faire de la politique, mais étaient intéressés par gagner leur diplôme et rentrer pour amasser des millions. On les appelait les carriéristes. Aujourd’hui on nous refuse même le droit de parole. Nous avons quand même servi ce pays du mieux qu’on a pu. Je ne dis pas qu’on a fait des miracles mais on a servi honnêtement et loyalement ce pays. On n’a pas été des courtisans de président pour amasser des privilèges et des avantages matériels. J’ai en mémoire le jour où il a reçu les chefs traditionnels de Côte d’Ivoire en 2010. Ce jour-là, Blaise m’a reçu et je lui ai dit que si je ne peux pas lui parler directement, je ne peux pas passer par François parce que c’est mon petit frère.

Plusieurs voix s’élèvent pour demander le retour de Blaise Compaoré pour faciliter le processus de réconciliation nationale…

Je vous corrige. Ce n’est pas plusieurs voix mais quelques voix. (Rires). On se connait dans le village, et comme je le dis, le pays est plat. Tout le monde connait tout le monde. Je parlais tantôt de Blaise. Il m’a rendu des services, je le reconnais. Il en a rendu à d’autres. Ma position est que s’il est prêt à faire face à ce dont on l’accuse, qu’il vienne répondre. Je n’ai pas d’animosité particulière à son endroit.

Le Pr Basile Guissou est-il Sankarariste ?

Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ce terme m’a toujours été étranger. Je vous ai dit, je suis d’un parti politique qui a un programme politique depuis 1978 et qui a rencontré en 1983 des capitaines avec lesquels nous avons composé pour faire la révolution démocratique, point barre.

Mais vous vous réclamez de ceux qui se réclament de l’héritage de Thomas Sankara ?

Je les écoute, je les suis avec intérêt. Parce que je pense que ce sont des patriotes qui ont droit à de la considération. Je les considère, je les respecte. Je n’ai pas de préjugés sur eux. Je pense que certains font du bon travail. J’ai mon parti, ma ligne politique. Je ne marchande pas ça pour d’autres courants politiques.

Vous avez certainement lu le livre de l’ancien Président Jean Baptiste Ouédraogo ?

Malheureusement non, même si cela peut vous paraître bizarre.

Pourquoi vous n’avez pas lu « Ma part de vérité » de Jean Baptiste Ouédraogo ?

Ecoutez-moi. Je vous ai dit que pour moi, la politique, c’est une science. Jean Baptiste n’a aucune qualification pour parler politique de telle sorte que moi je l’écoute ou que je le prenne au sérieux en tant que chercheur et militant politique. C’est tout. Ce n’est pas plus que cela. Il est peut-être un très bon pédiatre, il soigne bien les enfants y compris les miens. Il a une clinique qui donne la santé aux malades. J’en suis satisfait. Mais il n’est pas habilité à parler politique.

Jean Baptiste Ouédraogo a été tout de même chef d’Etat. Il a son mot à dire sur ce qu’il a vécu et ressenti durant ces périodes ? Et vous en tant que politique, intellectuel, vous avez le devoir de lire ce type d’œuvres pour mieux éclairer vos concitoyens.

Je ne refuse pas qu’il ait son mot à dire. Je ne sais pas combien coûte son livre mais je vous dis que je ne lirai pas cet ouvrage. C’est comme si vous me demandez pourquoi je ne prends pas les journaux porno. Je ne lis pas, c’est tout. C’est un choix. Moi je suis un militant-là. Jean Baptiste Ouédraogo, c’est un inculte politique. Vous voulez que je vous le dise : c’est un inculte politique. Donc je ne peux pas le lire. Les Marxistes disent que celui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole. Ce monsieur-là n’a pas droit à la parole. Je n’ai pas lu le livre. Moi je discute politique avec des politiques, pas avec des pédiatres.

On entend souvent dire du Président Kaboré qu’il est trop mou, sans poigne. Et qu’il n’est pas l’homme qu’il faut pour diriger le Burkina Faso. Vous qui connaissez l’homme depuis des décennies, dites-nous qui il est.

Ecoutez-moi. D’abord Roch Kaboré a été DG de la BIB pendant 10 ans. Il a été ministre des Transports, ministre des Finances, Premier ministre, Président de l’assemblée nationale, président de partis politiques (CDP et MPP) et président du Faso. Ceux qui disent cela n’ont qu’à nous présenter leur CV, on va comparer. Je ne connais pas profil meilleur à celui-là pour assumer le pouvoir suprême au Burkina Faso. Je n’en connais pas. Je pense qu’il a un profil unique. Je ne crois pas au hasard. Le hasard n’existe pas. Comme le dit Einstein, même le hasard n’arrive pas par hasard. Ce n’est pas par hasard qu’il est à Kosyam. C’est parce qu’il a fait la preuve d’un certain savoir-faire, de capacités dans la gestion de l’Etat, dans la direction des hommes et dans la prise de décision. Sinon il ne serait pas là où il est. De nous tous, Roch Kaboré a prouvé qu’il est le meilleur. Je crois que quand on quittait le CDP, il n’y a pas un d’entre nous qui ne savait pas que c’est pour proposer Roch pour remplacer Blaise Compaoré. Parmi les 75 signataires de la démission, il n’y a pas un qui va dire qu’il ne savait pas cela. Donc faisons un peu confiance à nos élites politiques qui ne sont pas des idiots et des imbéciles.

Interview réalisée par Inoussa Ouédraogo
Bendré