Les citations et les proverbes sont-ils toujours de bon conseil ? Pour Denis Dambré, le contexte dans lequel ils apparaissent dans le discours détermine souvent leur périmètre de validité. Et l’on commettrait une lourde erreur à ne jamais songer à les mettre en débat. Un proverbe lu dans un journal ivoirien est à l’origine de sa réflexion : « Quand tu refuses de faire pleurer ton enfant, sois-en sûr, il te fera pleurer à l’avenir. »
Certes, les enfants sont à éduquer. Mais doit-on nécessairement les faire pleurer ? La réponse de l’auteur est sans ambiguïté.

Les sociétés dans lesquelles l’oralité occupe une place prépondérante accordent une grande importance aux proverbes et aux dictons. Ces derniers agissent dans l’opinion publique comme des concentrés de vérité et des repères immuables de sagesse.
Cités à propos dans une conversation, ils corroborent une thèse ou clôturent le débat en se déployant en même temps comme un parapluie au-dessus de la tête de celui qui parle. Car il s’agit alors pour lui de se placer sous la protection de la sagesse ancestrale que peu de personnes s’autorisent à remettre en cause.
Les citations d’illustres auteurs jouent un rôle similaire dans les sociétés où l’écriture occupe une grande place. Mais deux cas de figure s’y présentent. D’un côté, les milieux cultivés qui font étalage de leur savoir intellectuel en citant des auteurs célèbres et, mieux encore, peu connus du grand public (car puiser dans un registre non accessible à tous sert quelquefois l’étiquette sociale !) ; de l’autre, ceux qui, n’ayant pas fait de grandes études, trouvent leurs repères dans la sagesse populaire tout comme dans les cultures de l’oralité.
Mais un mélange des deux types de références s’opère également. Ainsi, des sentences morales écrites passent souvent dans le registre populaire sans que la relation à leurs auteurs demeure explicite dans la tête de ceux qui les convoquent à l’appui de leur discours.
A titre d’exemple, le poète français Jean de La Fontaine a fourni à la langue française un nombre important de dictons : « La raison du plus fort est toujours la meilleure », « Rien ne sert de courir, il faut partir à point », « Il ne faut pas avoir les yeux plus gros que le ventre », « Petit poisson deviendra grand », « On a souvent besoin d’un plus petit que soi », « Ventre affamé n’a point d’oreilles »…
On sait aussi que nombre de proverbes proviennent, par exemple, de la Bible : « Il y a un temps pour pleurer et un temps pour rire », « Ne sème pas le mal dans le sillon de l’injustice », « La bouche parle de l’abondance du cœur », « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir », « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés », « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse »…
Mais un fait mérite d’être souligné au sujet de ces citations et autres formes brèves de la sagesse populaire : l’importance du contexte de leur emploi. Contrairement à ce qu’on aurait parfois tendance à croire, une belle citation ou un beau proverbe n’a souvent de valeur que dans un contexte donné. C’est le contexte qui détermine son périmètre de validité comme l’illustre l’exemple qui suit.
J’ai lu ces jours-ci, dans un média ivoirien, le proverbe suivant : « Quand tu refuses de faire pleurer ton enfant, sois-en sûr, il te fera pleurer à l’avenir. Les enfants sont à éduquer. ». De nombreux lecteurs approuvaient sans réserve cette formule de sagesse populaire. Certains ont même voulu y trouver une confirmation de l’idée selon laquelle on éduque mieux les enfants en étant sévère à leur égard. En clair,
« sévissons, mouchons nos morveux et nous aurons l’assurance d’un avenir sans soucis ! ».
Ces prises de position m’ont fait sourire. Elles évoquent et accréditent en effet une célèbre formule attribuée à l’écrivain américain Marc Twain : « L’éducation est une défense organisée des adultes contre les enfants ». A lire les réactions des internautes approbateurs, il s’agirait bien en effet de se mettre d’accord entre adultes pour en faire voir aux enfants de peur qu’ils nous en fassent voir plus tard. Comme si l’éducation d’un enfant visait avant tout le bien-être des adultes éducateurs.
La réalité n’est pas aussi simple. Nul ne conteste le fait que « les enfants sont à éduquer ». En tout cas, pas l’auteur de ces lignes qui consacre sa vie à cette mission capitale. Mais interpréter le dicton du journal ivoirien comme une invitation à sévir contre les enfants est pour le moins dangereux et contreproductif. Car on ne bâtit pas une société pacifique et sans violence sur les brisées d’enfants battus et violentés au prétexte d’éducation.

Certes, éduquer nécessite d’asseoir une autorité. Mais asseoir une autorité, c’est toujours chercher par l’explication patiente à susciter l’adhésion libre de l’enfant à ce qu’on veut lui apprendre pour son bien et pour celui de toute la communauté humaine. Il arrive parfois qu’on soit amené à élever le ton pour se faire entendre. Mais la porte doit toujours rester ouverte dans un second temps pour une discussion sereine et apaisée. A perdre de vue ce principe fondateur de l’éducation, on verse sans s’en rendre compte dans le dressage et l’instauration d’une obéissance par la peur qui sont à ses antipodes.
Plusieurs expériences scientifiques (voir par exemple celles menées par les psychologues Jonathan Freedman en 1965 et Jim Lepper en 1973) ont montré qu’un enfant qui obéit par crainte d’être puni adopte un comportement ponctuel et sans lendemain. Dès que le danger de la punition disparaît, il refait ce qui lui était interdit. En revanche, lorsqu’on arrive par l’explication à faire comprendre à un enfant l’intérêt pour lui-même et pour les autres de faire ou de ne pas faire telle chose, son comportement s’inscrit davantage dans la durée.
La formule de la psychologue et philosophe suisse Alice Miller est très éclairante à ce sujet : « La vraie autorité n’a pas besoin des coups et des claques pour se montrer forte et pour aider l’enfant. C’est le contraire. On donne des coups et des claques si on se sent faible et impuissant. Dans ce cas, on ne montre pas à l’enfant l’autorité, mais le pouvoir ».
Ce passage est admirable. D’autant que son auteure a consacré sa vie à des recherches sur les conséquences des violences physiques et psychiques exercées sur les enfants. Elle a montré par exemple que l’immense majorité des délinquants et des criminels ont subi eux-mêmes dans leur enfance des violences qui ont fortement structuré leur rapport au monde. Il en est ainsi des grands criminels de l’histoire comme Hitler ou Staline.
En résumé, certes, l’éducation est indispensable pour une croissance harmonieuse de l’enfant et pour la réussite de son insertion sociale. Elle est entièrement dirigée vers le bien de l’enfant et le bien de la société dans son ensemble. Mais, pour atteindre ces objectifs, il n’est pas nécessaire de promouvoir la violence à l’encontre des enfants. Cela est même contreproductif. Car il est absurde d’enseigner la non-violence à coups de fouet. Si nous voulons que nos enfants ne soient pas violents, commençons nous-mêmes par donner l’exemple en étant non-violents à leur égard.

Denis Dambré,
Proviseur de Lycée (France)
Kaceto.net