Le monde du sport fait partie des nombreux domaines touchés de plein fouet par la crise du Covid-19. Au-delà des compétitions en elles-mêmes, nombreuses sont les conséquences aussi bien pour les États et leur diplomatie sportive, que pour l’égalité entre athlètes. Entretien avec Estelle Brun, chargée de recherche à l’IRIS.

Si la plupart des États parviennent à maintenir leurs compétitions nationales, la pandémie de Covid-19 remet en cause un très grand nombre de compétitions internationales. Quelle est la situation du sport international aujourd’hui ?

En mars 2020, après les annonces du report des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo et du Championnat d’Europe de football à l’année suivante, certains ont imaginé que la fin de la pandémie serait symbolisée par le retour de ces grands événements sportifs (GES). Aujourd’hui, l’incertitude montante face à la possibilité pour Tokyo d’accueillir les Jeux remet en question ce retour à la normale d’ici l’été 2021. Le report des Jeux et les mesures sanitaires développées pour lutter contre la propagation du virus pendant l’événement ont déjà coûté 2,8 milliards de dollars, soit une augmentation de 22% du budget prévu. Au vu des moyens déjà investis, la réticence d’un nouveau report ou d’une annulation de la part de certains dirigeants, notamment Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO), fait sens. Une chose est sûre : si les Jeux ont lieu cet été, ils ne seront pas « normaux ». Traditionnellement, l’événement rassemble des milliers d’athlètes, des dizaines de milliers d’employés, de journalistes et de bénévoles, ainsi que des millions de touristes. La conjoncture actuelle, qui prédit de nouvelles vagues de contamination, des restrictions de mouvement importantes et un accès inégal au vaccin à l’échelle globale, nous permet difficilement d’envisager l’accueil d’un si grand nombre de personnes à Tokyo. Les retombées économiques, politiques et sociales, qui représentent des enjeux majeurs lors de l’organisation et du déroulement de GES, risquent aussi d’être drastiquement limitées par les restrictions sanitaires.

Le cas des Jeux de Tokyo est particulièrement parlant, mais presque toutes les grandes compétitions internationales sont touchées aujourd’hui. Par exemple, le bon déroulement du Championnat d’Europe de football, également reporté à l’été 2021, est largement compromis. Les dirigeants de l’Union des associations européennes de football (UEFA) restent cependant optimistes, et misent sur une campagne de vaccination massive qui permettrait l’accueil du public cet été, comme l’explique Alkesander Ceferin, le président de l’UEFA. Certaines alternatives, telles que la réduction de la capacité d’accueil des stades ou du nombre de villes hôtes – qui pourrait passer de 12 à 2 ou 3 –, sont également envisagées.

D’autres compétitions, initialement reportées, ont été complètement annulées, comme cela a été annoncé en novembre 2020 pour la Coupe du monde féminine de football des moins de 17 ans. Au sein du sport international aussi, il faut le soulever, ce sont les compétitions dites « féminines » qui sont les plus vulnérables.

On dit souvent que le sport est le miroir, parfois déformant, de la société. Durant cette pandémie, il aura reflété certaines tendances socio-économiques globales, ainsi que l’incertitude partagée face aux conséquences qu’aura le Covid-19 dans les mois et les années à venir. Le fonctionnement du sport international est alors, comme celui de tant d’autres secteurs, largement remis en question. En plus de l’urgence sanitaire, les inquiétudes montantes face au dérèglement climatique et l’empreinte importante qu’ont les compétitions sportives internationales sur l’environnement nous poussent à nous interroger sur leur durabilité.

Le sport est souvent défini comme un outil d’influence et une source de rayonnement international. La pandémie de Covid-19 a-t-elle entravé la diplomatie sportive des États qui le mettent en avant sur la scène internationale ?

La diplomatie sportive possède plusieurs vecteurs : investissements à l’étranger, organisation de GES, programmes d’échange entre sportifs issus de différents pays… Il est donc certain que, de par sa nature, celle-ci soit limitée pendant la pandémie.

Les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo sont encore ici un cas d’école, car la diplomatie sportive japonaise passe notamment par l’accueil de GES. Avec un public limité ou une cérémonie d’ouverture annulée, les conséquences touristiques et économiques qui contribueraient au rayonnement du Japon sur la scène internationale seraient largement réduites. En somme, les pays dont la diplomatie sportive repose principalement sur l’organisation de GES, c’est le cas par exemple pour le Japon, mais aussi la Turquie ou l’Azerbaïdjan, sont particulièrement touchés par la pandémie.

En revanche, certaines stratégies de la diplomatie sportive qui ne nécessitent pas de déplacement physique tels que les investissements à l’étranger, ont pu continuer à se développer malgré la pandémie. La Chine a même su profiter d’un système économique largement fragilisé par la pandémie pour réaffirmer la dépendance d’une part de l’industrie sportive occidentale au marché chinois et, plus généralement, sa présence majeure au sein du sport international. En septembre dernier, par exemple, de nouveaux accords de diffusion de matches de la Premier League anglaise ont symbolisé le bras de fer diplomatique entre le Royaume-Uni et la Chine, démontrant ainsi la continuité de certaines tendances géopolitiques et sportives préexistantes au Covid-19.

Enfin, de nouveaux acteurs se sont aussi démarqués, tels que l’Arabie saoudite, qui a continué à développer les ambitions de sa Vision 2030 à travers sa diplomatie sportive. Le Royaume, qui souhaite diversifier son économie tout en améliorant son image globale, vient d’accueillir, pour la deuxième fois, le Rallye Dakar. De manière à accroître son soft power par le biais du sport, l’Arabie saoudite a également poursuivi ses investissements au sein du football européen, et ce, malgré la pandémie.

Le sport est le vecteur d’un grand nombre de revendications et de mobilisations de la part des athlètes, pour l’égalité des droits, contre le racisme, l’égalité des genres, etc. La crise a-t-elle annihilé les récentes mobilisations ?

La pandémie a d’abord mis en lumière, puis amplifié, des inégalités qui existaient déjà. De nombreux rapports ont souligné l’impact plus important du Covid-19 sur le milieu sportif amateur, ou celui du sport féminin. Alors que de récents événements sportifs, tels que la Coupe du monde féminine de football en 2019, avaient permis de consolider la place essentielle des femmes dans le mouvement sportif international, la pandémie a de nouveau renvoyé le sport féminin au second plan. Les mobilisations pour l’égalité des genres dans le sport n’ont pas cessé pour autant, malgré ce recul net de la place des femmes dans le sport.

Ce qui aura marqué le sport international pendant la pandémie, c’est l’engagement politique de nombreux sportifs de haut niveau. Aux États-Unis, alors que le combat contre le racisme systémique et les violences policières anime de nombreux sportifs depuis plusieurs années, notamment Lebron James, Colin Kaepernick et Megan Rapinoe, les prises de position en Europe se sont faites plus rares.

Mais depuis 2020, pendant des rencontres sportives ou via les réseaux sociaux, de plus en plus de sportifs ont exprimé leur soutien aux victimes de racisme et dénoncé les injustices sociales. De nombreux sportifs, aux États-Unis comme en Europe, ont notamment participé au mouvement Black Lives Matter en posant un genou à terre, un geste devenu symbolique et initié par Colin Kaepernick en 2016. Plus récemment en décembre 2020, le footballeur français Antoine Griezmann a rompu son contrat avec le géant chinois Huawei, en affirmant s’opposer fermement au traitement réservé aux Ouïghours par le gouvernement chinois, qui opère avec la complicité de la marque. Si l’on prend en compte la temporalité de ces revendications sociales, on ne peut pas considérer qu’elles aient été effacées par la pandémie, bien au contraire.

La crise sanitaire aura souligné de nombreux dysfonctionnements sociaux, politiques et économiques qu’il est nécessaire de rectifier pour se préparer au « monde d’après ». Le rôle des réseaux sociaux dans la lutte pour la justice sociale et raciale a été exponentiel, alors qu’une partie du monde était à l’arrêt. Ce contexte aura permis de normaliser les prises de position des sportifs, exprimées et popularisées à travers ces réseaux. Les sportifs prennent de plus en plus conscience de leur pouvoir et de leur droit, s’ils le souhaitent, à s’engager dans des combats sociopolitiques, et ce, même en temps de pandémie globale

iris-france.org
Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.