L’Association des professionnels et acteurs du froid et la climatisation a organisé du 26 au 28 mars la première édition du Salon international de la climatisation et la réfrigération de Ouagadougou (SICRO). Parmi les militantes de cette jeune association créée en avril 2019 qui ont été très actives dans le succès du SICRO, figure Solange Yaogo, technicienne froid et directrice de "Ya Songrenoma Service", une entreprise qui vend du matériels et offre des prestations de services dans le domaine du froid.
Jeune ambitieuse dans un secteur très largement dominé par les hommes, elle se bat pour se faire une place au soleil, convaincue que le froid a un bel avenir dans notre pays.


Que renferme le métier de technicien du froid ?

Le métier du froid renvoie à tout ce qui a rapport avec le froid, c’est-à-dire la climatisation auto, dans le bâtiment et dans l’aérien. Je me considère comme un docteur dans le domaine du froid, qui a fait des études et qui connait les fondamentaux sans lesquels il ne peut pas y avoir de froid. Je veux parler du compresseur, du condenseur, du détendeur et de l’évaporateur. Tant que ces quatre éléments ne sont pas réunis, il ne peut pas y avoir de froid. Il y a des éléments annexes qui permettent de commander le système et faire en sorte que dans une chambre froide, on peut programmer le compresseur pour qu’à 2° par exemple, il s’arrête de fonctionner et se remette à marcher quand la température remonte à 10°.
Ce n’est pas tout. Il y a aussi le système centralisée à vitesse variable qui permet d’augmenter la puissance du compresseur dans une salle où il y a 10 personnes et de faire baisser la puissance s’il n’y a que deux personnes. Tout cela permet de faire des économies d’énergies.


Comment êtes-vous arrivés dans le secteur du froid qui n’est pas un lieu féminin

Je me suis intéressée au froid grâce à mon père qui est un pâtissier. Un jour, il avait une commande et pendant qu’il était en train de fabriquer son gâteau, il y a eu délestage ; on remettait le disjoncteur mais ça ne tenait pas. Le compresseur ne donnait plus parce qu’il avait été grillé à cause des délestages. Voyant que son gâteau était en train de fondre, mon père a appelé un technicien du froid qui est venu. Il a apporté ses appareils et en quelques minutes, il a découvert la panne et l’a expliquée à mon père. Ca m’a vraiment marqué. Il est allé ensuite chercher la pièce défaillante qu’il a installée et tout a recommencé à fonctionner. Pour moi, c’était un génie qui sauvé la commande de mon père. J’ai dis à mon père que c’est le métier que je veux faire quand je serai grande. Il a dit d’accord. Mais avant de me laisser faire mon choix, il m’a emmenée en immersion dans trois secteurs afin que j’ai plusieurs expériences avant de me décider. J’ai donc fait de la maçonnerie et en trois jours j’avais des courbatures ; j’ai abandonné. Puis, je suis allée faire de la pâtisserie et franchement, ça ne me disais rien. En froid, j’ai travaillé sur les frigos et les sur les climatiseurs et toute suite, j’ai aimé. J’ai donc choisi le froid.
J’étais galvanisée et je me suis inscrite au Centre de formation et de performance de Ziniaré en 2013. A l’époque, on faisait un test pour y accéder. J’ai été admise et j’ai commencé en janvier 2013 la formation qui a duré 1800 heures. A la sortie en mars 2014, je suis allée faire un stage de trois mois à l’hôtel Laïco, puis trois autres mois au génie militaire et enfin dans une société qui s’appelle 3S.

Avec le soutien d’amis, j’ai une inscription à Limoges, en France en 2015. Sur place, on m’a demandée de faire un BEP et un BAC Pro. J’ai fait deux ans en France en "froid et conditionnement d’air", et de retour, je suis tombée en 2017 sur un test de recrutement lancé par le ministère de la Jeunesse. On voulait des jeunes pour envoyer en stage de perfectionnement à Taïwan dans trois filières : froid et climatisation, mécanique de précision et en électro technique. Nous étions 20 qu’on a envoyés pour cinq ans. Nous y étions quand il y a eu la rupture des relations diplomatiques entre le Burkina et Taïwan. Nous sommes rentrés avant d’être envoyés en Chine populaire pour terminer la formation.

Je suis rentrée en juillet 2019 croyant que j’allais facilement avoir un emploi vu mon parcours et mon expérience. Erreur. J’ai déposé des demandes de stages et au bout de quatre mois, je n’ai même pas eu de réponse ! C’est grâce à une connaissance que j’ai eu un stage à S3E, la première entreprise de froid au Burkina. J’y suis restée deux mois mais en raison du COVID-19, il n’y avait pas grand chose à faire. J’ai alors postulé dans une entreprise spécialisée dans le froid et on me proposait un salaire de 35 000 francs par mois ! Je me suis demandée alors pourquoi ne pas créer ma propre entreprise au lieu d’être payée à 35 000 F par mois.
Toujours avec le soutien de mon père, j’ai créé mon entreprise qui s’appelle Songrenoooma Services (littéralement, "aider, c’est bien) et qui se trouve à Balkuy.


Et comment vont les affaires ?

Les débuts sont vraiment difficiles. Je voulais vendre le matériel de froid tout en faisant des prestations de services, mais c’était un calvaire car les gens m’encouragent mais ne me confient pas de travaux à faire. Parfois, quand je fais des dépannages, certains trouvent que le prix est élevé même s’ils admettent que le travail est bien fait. J’étais un peu découragée jusqu’au jour où le président de l’Association des professionnels et acteurs du froid et la climatisation (APFC), Elie Ouédraogo m’a appelée pour m’inviter à participer aux activités de l’association.
"L’APFC est une famille et il faut que tu viennes avec nous afin qu’ensemble, on puisse s’entre aider. Si on peut faire quelque chose pour toi, on le fera" m’a t-il dit.
J’ai suivi ses conseils et depuis lors, les choses commencent à s’améliorer et les portes s’ouvrent petit à petit. Je ne dis pas que j’ai des marchés, mais je rencontre des gens qui connaissent ma valeur et qui m’encouragent en me confiant des travaux à exécuter. Le président de l’Association m’a associée à l’exécution d’un marché qu’il a eu et parfois, grâce à lui, des maisons de marques qui ont besoin d’entretien font appel à moi. Mon entreprise s’appelle Songrenooma, un nom très significatif pour moi car à chaque fois que je gagnée par le découragement, il y a toujours eu quelqu’un pour me redonner espoir et l’envie de continuer.Je remercie d’ailleurs les responsables du lycée des Métiers Martin Nadeau Bellac de Limoges qui m’ont beaucoup soutenue financièrement et m’ont aidée à mettre en place mon entreprise.
Actuellement je suis contractuelle à Essakane pour six (6) mois et je m’occupe de la climatisation des camions et des engins.

Entre l’idée que vous aviez du froid et la réalité, regrettez-vous d’y être entrée ?

Non, pas du tout, je ne regrette pas d’avoir choisi le métier du froid parce qu’enfant, j’ai toujours aimé tout ce qui est manuel. Il suffit de m’expliquer quelque chose et je la pratique. Je suis fière de là où je suis actuellement car je réalise mon rêve qui est de pouvoir réparer un appareil qui ne fonctionne pas. Je suis comme un docteur qui diagnostique le mal et le soigne. Je suis d’autant fière qu’il n’y a pas beaucoup de filles dans le secteur. C’est vrai qu’il faut être en bonne condition physique pour l’installation des appareils, mais je ne me plains pas ; je m’en sors en plus de la maintenance que j’assure sans difficultés. J’ai choisi d’être technicienne du froid et je dois tout faire. J’ai de grandes ambitions car si l’argent rend heureux, je ferai tout pour l’avoir et rendre heureux mon père qui a tout fait pour moi.
J’invite les jeunes filles qui hésitent encore à s’engager dans la formation dans le froid car c’est un secteur d’avenir. Je suis convaincue que dans quelques années, les gens auront besoin de repas préparés et conservés au froid et les professionnels auront certainement un grand rôle à jouer pour les approvisionner.
Je suis confiante dans l’avenir et j’espère qu’avec le soutien de mon mari, je pourrai réaliser mes ambitions.

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Kaceto.net