Le décompte officiel du ministère de l’Intérieur sur le nombre de femmes tuées par leur mari, compagnon ou leur ex n’est publié qu’une fois par an. Pour suivre l’évolution de ce chiffre jour après jour, le collectif "Féminicides par compagnons ou ex" s’organise sur Internet depuis trois ans.

"Nous la citons, nous ne l’oublierons pas." Voici ce que l’on peut lire sur la page Facebook "Féminicides par compagnons ou ex". Un post dédié à la 75e femme tuée par son conjoint ou ex-conjoint depuis le début de l’année. Après la mobilisation de samedi autour de Muriel Robin et l’annonce dans le JDD de la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa de la tenue d’un grenelle des violences conjugales en septembre, le groupe a gagné en visibilité : plus de 13.000 personnes "aiment" la page Facebook ; le compte Twitter a gagné 1.000 abonnés.

Derrière ce collectif se trouvent trois femmes. Elles recensent inlassablement les violences conjugales. Un travail "éprouvant mais nécessaire", peut-on lire dans leur texte de présentation. D’ailleurs, la quatrième administratrice a jeté l’éponge face à une mission jugée trop éprouvante. Lancé il y a trois ans, ce travail de recensement est rapidement devenu chronophage : chacune d’elle consacre quatre heures par jour à publier des textes, répondre aux messages et mettre à jour les données.

Une mission d’autant plus lourde qu’il ne s’agit pas de l’activité principale de ces femmes. Elles ont un travail, une vie personnelle… La gestion de la page s’effectue sur leur temps libre, quand l’une ou l’autre peut se connecter pour compléter la page et répondre aux messages. Leur nom, leur âge, leur lieu de résidence ? Elles ne les dévoilent pas et ont choisi d’être anonyme. Pour éviter de se mettre en avant et mieux servir leur cause.

L’objectif : créer un mémorial pour ces femmes

L’objectif affiché est de créer un mémorial des femmes tuées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. "Elles ne doivent pas se perdre dans la masse", explique l’une des administratrices au JDD. Chaque victime fait l’objet d’une publication. On y raconte, sans rentrer dans les détails, l’histoire de ces femmes, et on affiche un numéro : le décompte des femmes victimes.

Une carte des féminicides est ensuite dressée. Grâce aux abonnées assidues - très majoritairement des femmes -, les administratrices de la page maintiennent une veille d’actualité sur le sujet. Elles sont parfois en contact avec la famille, ce qui leur permet de retrouver l’adresse de la victime. Elles essaient de publier rapidement, pour que les médias évoquent l’affaire.

Maintenir la pression sur les pouvoirs publics

Elles entendent ainsi maintenir la pression sur les autorités pour que l’enquête aille à son terme. Si, d’après les administratrices de la page, une prise de conscience collective s’est opérée depuis le mouvement #MeToo, les messages d’insultes sont réguliers, les menaces aussi.

Ce travail de recensement s’accompagne de conseils pour les femmes victimes de coups. "On oriente systématiquement ces femmes vers le 3919, le numéro de la plateforme téléphonique d’écoute pour les femmes victimes de violences conjugales", explique l’une des administratrices. Face au "succès" de la page "Féminicides par compagnons ou ex", les bénévoles ont même décidé de créer un groupe privé afin d’aider les familles de victimes.

Au rang de leurs demandes, elles souhaitent la mise en place du bracelet électronique pour les auteurs de violences conjugales ; un dispositif auquel réfléchissent Marlène Schiappa et Nicole Belloubet, comme l’a annoncé la secrétaire d’Etat dans le JDD. Elles demandent aussi l’hébergement des hommes pour qu’ils ne puissent plus rejoindre le domicile familial, une obligation de soins et le retrait des droits parentaux. "Protéger les femmes, c’est bien. Mais il faut s’occuper des hommes coupables pour avancer."

Par Sofiane Aklouf
lejdd.fr