Éclairages d’un professeur de droit sur la portée des réformes adoptées le 30 décembre 2023 par l’Assemblée législative de transition

1. Jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Décision n°2024-01/CC du 12 janvier 2024), la Loi n°045-2023/ALT du 30 décembre 2023 portant révision de la Constitution a apporté des réformes majeures dans le secteur de la justice. Si ces réformes comportent des innovations salutaires, elles consacrent un retour en arrière discutable.
2. S’agissant des innovations, la première tient en l’admission des modes traditionnels de règlement de différends, auprès des modes judiciaires de résolution des litiges (article 124). Dans un contexte social burkinabè où l’accessibilité aux juridictions classiques pour la plus grande partie de la population est précaire, le Constituant a été bien inspiré de prendre en considération les modes traditionnels de règlement des différends auxquels ont habituellement recours ces populations pour le règlement de leurs litiges (palabre, médiation, conciliation, etc.). En accroissant ainsi l’offre de processus de règlement des différends, il contribue significativement à l’amélioration de l’accès à la justice pour le plus grand nombre de justiciables. Pour être complet, le texte aurait dû viser dans la même disposition les modes alternatifs de règlement de différent (arbitrage, médiation et conciliation) admis et régis par la loi, qui sont, dans une vision renouvelée de la justice, considérées comme des moyens d’accès à la justice, au même titre que les juridictions étatiques. La seconde innovation majeure touche à la composition, à l’organisation et aux attributions du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Concernant la composition, la Constitution révisée met fin au quasi-monopole de la magistrature dans la composition du CSM (un seul membre n’était pas magistrat). Désormais, l’organe de régulation de la magistrature comprend pour moitié des personnalités non-magistrats et pour moitié de personnalités magistrats, à l’exclusion des personnes qui sont membres soit de l’exécutif de syndicat ou d’association de magistrats, soit de l’organe dirigeant d’un organe ou de formation politique (article 132, al. 1 et 2). Une telle égalité de représentation est rare mais pas unique : en Belgique, le Conseil Supérieur de la Justice comporte 22 magistrats et 22 non-magistrats. Cette ouverture à des personnalités non-magistrats est large par rapport celle de l’avant-projet de la Constitution de la Vème République (article 52) qui avait retenu 14 magistrats et 9 non-magistrats comme membres du CSM. Dans le principe, cette ouverture nous paraît fondée. Le fonctionnement de la justice est, dans toute société, une affaire trop sérieuse pour être abandonné aux seules lumières du corps des magistrats. Outre cette ouverture, la nouveauté dans la composition réside dans ce que les présidents et vice-président du CSM sont élus par ses membres (article 132, al. 3), alors que ces postes étaient occupés de droit, respectivement, par le Président de la Cour de cassation et le Président du Conseil d’Etat. Concernant l’organisation du CSM, la nouveauté, s’il en est, tient en ce que le Constituant a cru bon de reprendre l’organisation du CSM en chambres disciplinaires, commission des carrières et commission d’admission des requêtes, qui avait été instituée par la loi n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation, composition, attributions et fonctionnement (article 133, al.2). Ce souci de détails semble inapproprié dans une disposition d’ossature constitutionnelle, ce d’autant plus qu’il est prévu l’adoption d’une loi organique pour régir les attributions, la composition, l’organisation et le fonctionnement du CSM. Concernant les attributions, le CSM s’est vu retiré le pouvoir de donner son avis sur l’exercice du droit grâce (article 133, al.1). La troisième innovation majeure se situe dans la suppression de la Haute Cour de Justice. La Constitution révisée dispose, en effet, que « le Président du Faso et les membres du Gouvernement sont jugés par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, spécialement composée de trois juges professionnels et de quatre juges parlementaires » (article 137). Sur ce point, elle s’inscrit dans les pas de l’avant-projet de la Constitution de la Vème République qui avait également acté la mort de la Haute Cour de Justice (article 162).
3. S’agissant du retour en arrière, la révision constitutionnelle consacre le retour du « parquet aux ordres ». La Constitution révisée prévoit, en effet, que « les magistrats du parquet sont soumis à la loi, à l’autorité de leurs supérieurs hiérarchiques et à celle du Ministre chargé de la Justice » (article 130, al. 2). De même, alors que le CSM décide de la nomination et des affectations des magistrats de siège, celles des magistrats du parquet sont prononcées par le CSM sur proposition du Ministre chargé de la Justice (article 134, al. 2). Avant cette modification, la Constitution révisée par la loi n°072-2015/CNT du 25 novembre 2015 portant révision de la Constitution avait consacré une certaine indépendance des magistrats du parquet qui n’étaient pas soumis qu’à la loi et à l’autorité des chefs de parquet et qui étaient nommés et affectés dans les mêmes conditions que les magistrats du siège (article 130). Elle avait ainsi abrogé le régime antérieur qui plaçait les membres du parquet sous l’autorité hiérarchique du Ministre chargé de la Justice, lequel avait la haute main quant à leur nomination et leur affectation. La Constitution nouvellement révisée fait revivre ce régime. On peut avoir des craintes légitimes. L’indépendance du parquet est généralement considérée comme une garantie de l’impartialité des poursuites et de protection des libertés individuelles. Il faut espérer que le Ministre chargé de la Justice exercice son pouvoir hiérarchique avec clairvoyance dans l’intérêt de la loi et nous épargne d’avoir à revivre la mauvaise séquence des « juges acquis » qui a eu cours de par le passé.

Windpagnangdé Dominique KABRE,
Agrégé de droit privé
Professeur titulaire,
Université Thomas SANKARA