« L’arbre de la paix ne pousse que sur le sol de la justice », écrit l’écrivain guinéen Tierno Mononembo, auteur de la Tribune ci-contre pour qui éla démocratie sénégalaise n’a pas pour seul mérite, celui d’exister : elle fonctionne"

La démocratie sénégalaise n’a pas pour seul mérite, celui d’exister : elle fonctionne. Elle fonctionne parce qu’elle est enracinée. Elle fonctionne parce qu’elle est structurée. Ce n’est pas une coquille vide. C’est un système qui a du sens.
N’ayons pas peur des mots, le Sénégal n’est pas une République bananière, pardon, « arrachidière ». C’est une République fondée non sur les sautes d’humeur d’un individu comme cela se passe souvent en Afrique, mais sur la vigueur des principes : d’un côté, des institutions honorables parce que solides et adéquates ; de l’autre, un personnel politique, des citoyens et des soldats rompus à la culture de la « chose instituée. »
L’acte posé par le Conseil Constitutionnel après la tentative de recul de la présidentielle par Macky Sall fut un haut moment de démocratie et pour les Africains frustrés de tout, surtout de liberté, un véritable état de grâce. Une belle surprise, un évènement habituellement réservé aux démocraties les mieux rodées, celles des pays scandinaves notamment. On se souvient qu’en Guinée par exemple, pour avoir tenté de s’opposer au 3ème mandat d’Alpha Condé, le président du Conseil Constitutionnel avait été dégommé subito et retrouvé mort quelques jours plus tard, dans des conditions qu’il faudra bien élucider un jour.
C’est une belle élection que vient de nous offrir le Sénégal ; une élection qui fera date, une élection qui, nous l’espérons bien, fera aussi tache d’huile. On a craint le pire en un moment. On a pensé que l’exception sénégalaise allait sombrer victime des manigances politiques et de la manie du bâton propres à nos Etats. Mais non, elle est là, plus vivante que jamais comme qui dirait, vaccinée contre la peste des putschistes et le choléra du troisième mandat.
Ouf, il n’y a eu ni bruits de bottes ni guerre civile ! Le candidat du PASTEF remporte les élections dès le premier tour (plus de 54% de voix). Comme jadis Mandela, Bassirou Diomaye Faye, un illustre inconnu sort de prison pour occuper le fauteuil présidentiel, le tout dans un sain climat de retrouvailles familiales. Personne n’a songé à interjeter appel auprès des organismes compétents (c’est vrai que la victoire est incontestable). Au contraire, tous les vaincus à commencer par Macky Sall et Amadou Ba, son candidat, se sont empressés d’adresser des messages de félicitations au nouveau président.

Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye (les deux font la paire !) ont abattu un gros travail. Grâce à eux, le monde politique sénégalais n’est plus un sanctuaire réservé à quelques privilégiés, il est devenu l’affaire de tous. Laissons-les savourer leur victoire ! Laissons appliquer le programme pour lequel ils ont été élus ! « Ils sont jeunes, idéalistes et inexpérimentés », disent les méchantes langues. Justement, la jeunesse, c’est le renouveau et Dieu sait si notre continent a besoin de sang neuf. Quant à l’expérience, ma foi, ils l’auront en se faisant la main : humer les roses de ses rêves tout en se frottant aux dures épines des réalités, c’est cela l’expérience.
Pour le reste, ils savent qu’on les a à l’œil, qu’aucune dérive autoritaire ne leur sera permise. D’abord, parce que la société sénégalaise dispose de tous les garde-fous qu’il faut pour se prémunir contre les despotes et les aventuriers. Ensuite, parce que leur éclatante victoire a bouleversé les mentalités et changé la donne : ayant remis chacun à sa place rien que par son bulletin de vote, le citoyen lambda sait maintenant que c’est lui le maître du jeu. Personne ne décidera de l’avenir du Sénégal sans lui"

Tierno Monénembo