Que le temps passe, cela ne fait l’objet d’aucun doute, nonobstant les spéculations de moult philosophes. Nous ne nous arrêterons donc ni sur Parménide d’Élée, ce grec des temps antiques, pour qui le temps n’est qu’une illusion, ni sur Platon qui pense que le temps n’est que « l’image mobile de l’éternité immobile ». Pour nous, le temps, c’est le devenir des choses, que notre conscience d’homme ressent avec plus ou moins d’angoisse, selon la situation existentielle dans laquelle nous sommes. Ce devenir, même reconnu dans son être, est encore source de spéculation. En effet, beaucoup de civilisations humaines ont vu en lui une sorte de réplique des rythmes de la nature qui tourne en rond. Cela a donné naissance aux conceptions du temps circulaire, le temps de l’éternel retour. Le temps serait alors quelque chose qui répète les mêmes contenus comme la nature, selon des cycles qui dépendent de la civilisation dans laquelle on se situe. Il est vrai que les cycles de la nature, des astres de l’univers et de nos calendriers humains, nous font penser que le temps est un éternel retour. Des philosophes modernes, comme l’allemand Nietzsche, ont d’ailleurs sacralisé cette vision du temps, pendant même que la réalité de notre vie humaine tend à la relativiser à tout point de vue. Nous avons en effet le fort sentiment que le temps de nos vies ne tourne pas en rond. Nous naissons, nous grandissons, nous mûrissons, nous vivons et traversons irréversiblement le temps pour la mort dont nous avons la certitude par l’expérience cumulée de l’humanité. Le temps est bien linéaire, inexorable et irréversible. A première vue, il ronge nos vies et nous conduit à cet instant fatal qui nous fait si peur. Le temps est source de bien de désespoirs pour notre conscience d’homme. Mais n’est-il cependant que source de désespoir ? Le temps n’est-il pas aussi le lieu de tous nos espoirs ? Notre modeste propos, ici, se propose de donner à ces questions quelques éclairages nourris par notre expérience subjective de la vie. Il évitera le type de réflexion des philosophes tragiques et existentialistes comme celui de Martin Heidegger et de ces disciples français.

Le temps source de désespoir

Le temps est le plus grand voleur de la vie. Le temps mange la vie. Tout l’espoir de la conscience humaine c’est d’être présence à soi, présence à soi qui se prolonge, si possible, en intemporalité, en éternité. Mais non ; le temps est le fort ; c’est lui le maitre de toute chose. Il arrache inexorablement le présent ; il s’en va avec notre jeunesse, nos moments de jouissance et de réjouissance. Avec le temps tout passe, tout s’en va, comme le chante le français Léo Ferré. Le temps emporte nos amours ; il dévore notre espoir. On ne veut vieillir, mais on vieillira. On ne veut sortir de nos vingt ans, mais on en sortira tôt ou tard, malgré tous nos efforts acharnés pour lutter contre nos rides, notre embonpoint et autres signes apparents de maturité et de vieillesse. Notre présence dans le temps n’est en fait qu’un sursis, une succession d’instants de survie en attentant la non vie. Oui, comme le dit l’autre, inexorablement « du temps passe, et à chaque fois que du temps passe, quelque chose s’efface » ; les choses et les êtres qui nous sont chers disparaissent, nos rêves et nos horizons de vie s’amenuisent. Face au temps, nous n’avons que le choix du poète Lamartine qui s’écriait : « O temps, suspends ton vol ! Et vous heures propices suspendez votre cours ». Mais le temps restera toujours sourd à cet appel de nos cœurs en proie au désespoir de voir les choses s’en aller de manière irréversible et sans recours.

Le temps source d’espoir

Mais, d’un autre côté, le temps est salutaire. Autant il emporte nos joies, autant il emporte nos peines. Avec le temps tout passe, les déchirures du présent, les affres de nos vies. On oublie les trahissons, les divisons, les blessures de l’âme et du corps. Le temps est ce grand médecin qui soigne et cicatrice toutes les plaies de la vie. C’est également lui qui permet la réalisation de nos projets. Comme dit Sartre, la vie est projet, et elle ne peut se réaliser que dans le devenir. Avec le temps tout est possible, tout peut arriver ; le meilleur peut se produire. La perfectibilité humaine, dont parlent tant les philosophes, n’est point concevable en dehors du temps, et notre civilisation d’homme n’a pu faire des progrès que parce qu’elle a disposé de temps pour le faire. De ce point de vue, tant qu’il y a du temps il y a de l’espoir. Le fait que le cours du temps nous vieillisse n’est d’ailleurs pas un argument contre lui. Au fond, le temps ne nous vieillit pas à tout point de vue ; il épuise certaines choses en nous, mais il y installe d’autres. Le temps nous mûrit, nous aguerrit, nous procure expériences et leçons de vie. Le temps nous rapproche de l’éternité, comme on pourrait le dire dans une perspective religieuse.
Ainsi, en soi, le temps n’est ni cause de désespoir absolu, ni source d’espoir inépuisable. La question est plutôt à renvoyer à notre conscience elle-même. En effet, notre ressentiment face au temps qui passe est étroitement lié à notre attitude dans la vie face aux choses. Notre article prochain reviendra sur cet aspect de la question.

Zassi Goro ; Professeur de Lettres et de philosophie