La présente note entend décrire la démarche et les outils qui furent employés à l’occasion d’un programme pilote de prévention de la récidive djihadiste en milieu carcéral, dans deux maisons d’arrêt (achevé en 2016). Un délai suffisant de sécurité et d’éthique nous permet de présenter ici une partie du programme AMAL, financé par le ministère français de la Justice, et, en particulier, par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Celle-ci conclut aux avantages d’associer un corpus théologique, en des aspects toutefois limités et justificatifs, aux pratiques compo

Prévention de l’extrémisme violent religieux : une approche théologico-comportementaliste

Origine de la démarche

A l’époque où le programme a été conçu, avant même sa mise en œuvre et plus encore son évaluation, les travaux scientifiques théoriques ou à finalité opérationnelle étaient en France à peu près inexistants, sinon inexistants. La participation du directeur du programme AMAL à plusieurs programmes de recherche européens, dans le cadre du financement FP7, lui a permis, en amont de l’émergence d’une politique publique sur ce thème en France, de prendre part et contribuer à l’avancée de la recherche théorique et opérationnelle en Europe (SAFIRE, IMPACT-EU), etc. L’angle adopté a par conséquent été d’associer certaines pratiques opérationnelles validées ou émergentes et des résultats scientifiques robustes, en particulier, point central, sur les caractéristiques non linéaires et multivariables de tout processus individuel de basculement progressif dans l’extrémisme violent, en particulier religieux. De ce point de vue, l’approche psychologique TCC fut privilégiée au regard de l’approche de type psychanalytique pour plusieurs raisons : les programmes de recherche européens ou transatlantiques auxquels nous avons participé à l’époque favorisaient cette approche et ses outils. Le corpus, si l’on ose dire, était sous nos yeux. Il restait à l’appliquer et à l’adapter aux spécificités et contraintes de la France, pays où, on le sait la psychanalyse reste prééminente. A cet égard, la Direction de l’administration pénitentiaire a montré une attitude indifférenciée et ouverte. Surtout, le temps psychanalytique du transfert peut être long, la perlaboration progressive et lente, sans même parler de l’importance fondamentale de la fin de cet effort bilatéral . Cet aspect était ontologiquement contradictoire avec le délai qui nous était imparti. Enfin, la question de l’évaluation était ici sensible, compte tenu de la sensibilité particulière de la population avec laquelle nous travaillions – douze détenus en attente de jugement ou jugés en lien avec des affaires relevant de la législation anti-terroriste, et/ou précisément du djihad en Syrie.

Approche cognitivo-comportementale dans le cadre du programme

Dans le modèle cognitivo-comportemental, élaboré sur le corpus scientifique des théories de l’apprentissage, on considère que les facteurs génétiques et biologiques constituent le fondement à partir duquel l’environnement va former les comportements. La prise en charge s’appuie sur quatre axes principaux : comportemental, physiologique, cognitif et émotionnel. Le travail psychothérapeutique sur ces différents axes permet d’identifier les mécanismes de déclenchement et de maintien du trouble : facteurs prédisposants, facteurs précipitants. Compte tenu de l’objet du programme, et des profils des bénéficiaires, et au regard des retours d’expérience dont nous disposions, nous avons calibré une partie de notre démarche sur la prise en considération de syndromes post-traumatiques éventuels, et des difficultés comportementales à gérer la frustration, et la colère et les violences physiques ou verbales. Au demeurant, ces aspects ont au préalable fait l’objet de la réalisation d’un guide à destination de l’équipe proposant des solutions fondées sur l’affirmation de soi et la gestion non agressive, y compris en recourant à la dimension religieuse, des différends susceptibles de surgir, en particulier en début de programme (disqualification de principe des intervenants, refus du travail avec des intervenants féminins, violences, agression/attaque, éruption de colère, apparition de leaders négatifs), etc.

Intervenants et modalité des interventions

Le programme a adopté un double travail – individuel en face-à-face et en groupes. Le choix de passage de l’un à l’autre fut souple dès le départ. Dans les faits, le face-à-face était essentiellement le lieu de l’échange patient-thérapeute classique, mâtiné par la contrainte réelle et symbolique de la détention (ce qui n’est pas indifférent et crée par définition un biais dans l’alliance thérapeutique), quand le travail en groupe était celui du débat tempéré et discipliné, en espérant l’émergence de leaders positifs – ce qui fut le cas. Le directeur du programme, compte tenu de l’essentialisation possible – d’une manière stéréotypée et le plus souvent négative – des intervenants psychologues, choisit des profils différents : une psychologue TCC, non musulmane, avec patientèle ; un médecin psychiatre, formé aux TCC, musulman et d’origine maghrébine. Dans les faits, chacun avec ses caractéristiques et pratiques professionnelles, ils réussirent à produire les analyses fonctionnelles de la radicalisation de ces candidats au djihad et à établir leur profil psychologique, voire à leur transmettre des éléments de compréhension de leur mauvaise gestion de l’anxiété, de la colère, et à évoquer en périphérie l’intolérance à la frustration. Il s’agissait d’insuffler des éléments de distanciation envers les schémas de pensée qu’ils pouvaient élaborer sur eux, leur rapport au monde et aux autres, même s’ils s’en défendaient, souhaitant contrôler l’image qu’ils renvoyaient d’eux.

On notera que le choix d’équipiers féminins a été l’objet d’une très longue réflexion de la part du directeur/concepteur du programme, ainsi que d’une méta-analyse des pratiques existantes en Europe, compte tenu du haut degré de radicalisation des bénéficiaires potentiels perçu par l’administration pénitentiaire. Certains collègues allemands nous déconseillaient d’employer des femmes, tandis que l’administration pénitentiaire soulignait que son personnel était très féminisé et qu’un principe de base de notre pays est de ne pas distinguer les compétences métier en fonction des sexes. In fine, nous avons choisi d’intégrer des femmes dans notre programme, ce qui n’a entraîné aucune réaction ou refus de participer au programme de la part des bénéficiaires (à part un détenu qui refusa au début du programme de serrer la main aux femmes, avant de changer d’avis peu à peu).

Pour des raisons déontologiques, nous ne préciserons pas ici les caractéristiques psychologiques ou psychiatriques des bénéficiaires, mais nous pouvons préciser que les diagnostics qui furent établis par notre équipe « affinèrent » ou complétèrent quelquefois ceux établis par les services de l’administration pénitentiaire ou les services associés, certainement grâce à ce face-à-face hebdomadaire (y compris dans la détection de pathologies parfois très lourdes et mésestimées jusqu’alors), et surtout – critère décisif – sur un temps beaucoup plus long que celui que les psychiatres pénitentiaires peuvent accorder à un trop grand nombre de détenus.

Notre approche, dans le cadre de ce programme pilote, concernait une population de douze individus, avec lesquels nous avons exercé une activité continue de plusieurs mois. Par contraste avec le ratio détenus/psychiatre en vigueur dans les maisons d’arrêt françaises, et par honnêteté, nous devons constater que nous avions une approche individualisée donc qualitative et du temps à disposition. Nous avons pour autant interagi plusieurs fois avec le personnel pénitentiaire médico-psychologique, dans une coopération plutôt compréhensive, en particulier pour des signalements de crises ou de risque suicidaire (détection d’une bipolarité chez un détenu, au demeurant faussement radicalisé).

Alternant activité individuelle et travail en groupe donc, le phasage thématique du programme était un aspect critique sur lequel beaucoup d’efforts ont été apportés (début du programme, fonctionnement, instauration d’une routine, sécurité, confidentialité, éthique). Ce phasage a consisté à susciter d’abord des interactions à la fois réglementées (ponctualité, non-absence, travail en groupe avec discipline de prise de parole) et plutôt fluides sur des thèmes de réinsertion et de développement personnel, dans un premier temps, jusqu’à la constitution de groupes A et B (bénéficiaires + intervenants) familiers et si possible pacifiés. Les aspects polarisants ont été pris en charge après cette phase de montée « vers la routine », à l’habitude réciproque (engagement, être musulman, djihad armé, Daech, Hijrah au califat contre Hijrah « intérieure », laïcité). L’idée générale étant, mais cela dépasse le cadre de cet article, d’aller d’abord et temporairement sur le terrain des bénéficiaires plutôt que d’essayer de les convaincre immédiatement d’adhérer aux valeurs de la France républicaine (et laïque), comme ce fut parfois fait ailleurs.

Le travail psychologique s’est effectué, comme l’ensemble du programme, dans deux maisons d’arrêt (désignées ici par A et B) de la région parisienne.

Dans la maison d’arrêt A, par exemple, notre psychologue TCC est intervenue. L’administration pénitentiaire nous a réservé pour ce faire un parloir dans lequel se succédaient les face-à-face individuels et hebdomadaires d’une heure à chaque fois. Sept détenus bénéficiaires ont été convaincus par notre équipe de participer à ce programme de cinq mois, sans possibilité d’obtenir par ce biais une quelconque remise de peine, bien qu’ils l’aient pensé initialement. On notera qu’aucun détenu n’était volontaire au départ et que nous avons dû les convaincre un par un, ce qui, là aussi, était une première, semble-t-il, en France. Il s’agissait essentiellement d’identifier avec eux les facteurs (de fragilité) ayant conduit à leur engagement dans l’extrémisme violent religieux, tout en évitant, dans notre cadre, de trop parler immédiatement des sujets évalués par le directeur du programme comme polarisants, en particulier la religion ou leur chemin de radicalisation sous peine de produire des mécanismes de réactance . Ceci fut fait systématiquement par la suite. Selon cette théorie, chaque fois qu’un comportement accessible à un individu est pour une raison ou une autre retiré de son champ des possibles (ou menacé de l’être), cet individu ressent une restriction de sa liberté, ce qui éveille en lui un état de réactance psychologique, état émotionnel orienté vers un recouvrement de sa liberté. La réactance favorise la tendance comportementale à exercer la liberté menacée ou éliminée et rend plus attractifs l’activité ou l’objet par rapport auquel la liberté a été menacée. De ce point de vue, le directeur du programme incarnait volontairement l’autorité, y compris en phase de travail de groupe, quitte à cristalliser les aspects négatifs de cette fonction (rappel des principes de fonctionnement). Mais encore une fois, en général, les aspects les plus polarisants, concernant la théologie de l’extrémisme violent, l’herméneutique de distanciation, la géopolitique, ou le sens de l’islam dans un pays comme la France, étaient abordés en groupe. Cet aspect de travail en groupe fera l’objet d’une publication ultérieure détaillée.

Nous avons pu, également, constater que l’excès de prises en charge diverses produisait parfois un renforcement positif inadapté. Certains ont pu se glorifier d’avoir reçu la visite de députés, hors de notre programme, ou d’être sollicités par une association qui souhaitait les filmer. Cela représente en prison, selon nous, un facteur de maintien de la radicalisation non négligeable.

L’intervention dans la prison B s’est déroulée dans des conditions matérielles plus difficiles, compte tenu de l’extrême vétusté des bâtiments – faible insonorisation affectant le sommeil, vétusté des cellules nourrissant les griefs que notre équipe devait écouter et gérer à chaque début de rencontre (« l’éruption initiale »), etc. De surcroît, l’architecture des maisons d’arrêt eut une incidence sur notre opérationnalité. Nous estimons avoir perdu 8 % de temps opérationnel dans la prison A en étoile, avec des détenus dispersés, par rapport à la maison d’arrêt B, où tous les détenus étaient dans un corridor.

Adaptation : une association du corpus islamique et des TCC

Dans l’ensemble, quoique certains des détenus pris en charge par le programme aient eu une expérience de combat en Syrie, ils n’ont pas exprimé de stress post-traumatique (ESPT). Le contexte d’incarcération et notre positionnement n’étaient pas propices à l’expression authentique de leur état émotionnel. En effet, contrairement à la prise en charge classique en cabinet libéral, où le patient exprime son intimité à l’occasion d’une démarche personnelle et seulement lorsque l’alliance thérapeutique est établie, les candidats ont été sollicités et ont adopté une posture d’infaillibilité. Ils étaient réticents à avouer d’éventuelles anxiétés (associées probablement à la notion de faiblesse), mais étaient plus diserts quant à l’expression de la colère, émotion plus « virile » et légitime au sein du groupe (notion de désirabilité sociale, le djihad comme gratification symbolique). Cette dichotomie relève probablement d’un apprentissage culturel (familial, religieux, pairs).

On pourrait sans doute, dans un contexte plus propice à la confidence, observer plus ou moins d’ESPT en fonction de l’intensité de l’exposition aux scènes de guerre et de violence selon que les détenus auraient vécu les scènes, auraient été acteurs de violence ou simplement spectateurs. En effet, la prévalence de l’ESPT dans la population globale s’échelonne entre 2 et 8 %. Elle augmente chez des sujets ayant combattu ou ayant été confrontés de façon répétée à des situations de violence (cf. les militaires sur zone ou les groupes d’intervention). On pourrait également identifier un apprentissage de la violence avec une désensibilisation chez ceux qui visionnent les vidéos. Enfin, on ne peut occulter la présence de trouble de la personnalité antisociale (autrement appelé « psychopathie »), sans doute surreprésenté au sein de telles cohortes (cf. prévalence dans la population générale comprise entre 0,2 et 3,7 % et dans les prisons entre 50 à 80 %) .

Nous avons pu, cependant, aborder avec certains la thématique de la gestion inadaptée de l’anxiété. En outre, aussi bien dans le travail en face-à-face que dans le travail en groupe organisé par le programme AMAL, nous avons observé, de manière fréquente, des difficultés à gérer la frustration et la colère. Ce qui a poussé l’équipe à adapter le programme pilote en lui associant précisément des outils de gestion de la frustration et de la colère. Dans la perspective de voir notre programme reproduit par l’administration pénitentiaire, nous nous sommes ici adaptés pour répondre à un besoin manifeste et partagé. Nous distinguons classiquement ici la colère des comportements d’agression qui en découlent parfois. On le sait, la colère peut être contenue et sans aucun comportement agressif. Inversement, des comportements agressifs peuvent aussi survenir sans que la personne qui les agit ne ressente de la colère. Nous avons analysé l’environnement familial des candidats, à la recherche d’éventuels schémas de violence intra ou extrafamiliale, mais nous nous sommes souvent heurtés à des récits très contrôlés et « neutralisés », sauf chez un détenu de droit commun, qui exprimait avoir appris cette violence au sein de sa famille recomposée et l’assumait car indispensable, selon lui, pour survivre, dans sa famille et dans son quartier. Malgré les réticences des candidats à raconter leur vie au sein de la famille, nous avons pu récolter des informations concernant l’absence de cadre éducationnel manifeste, pas forcément liée à l’absence du père.

L’évocation de la sorcellerie (Roqyia), de procédures d’envoûtement et autres djinns a été rare, minoritaire, mais observable, spécifiquement dans la prison B, à la fois en face-à-face individuel et en travail en groupe. Tout en prenant en considération cet aspect activement, par exemple dans une comparaison avec la sorcellerie en Occident (auxquels ils avaient accès via certains films gore de série B), ou en mentionnant certains aspects maraboutiques nord-africains traditionnels (par exemple manger sur des tombes en mémoire du défunt), pour souligner l’hybridité religieuse et culturelle des bénéficiaires (terme récurrent dans leur vision de leur positionnement et dans leur autoreprésentation), notre équipe a cherché à vérifier si des symptômes d’essence psychologique (classiquement) ou d’autres faits ne pouvaient pas y être associés.

Dans la logique de notre programme, nous avons associé le corpus islamique de gestion de la colère et de la violence avec des techniques cognitivo-comportementales. L’islam, dans toute la diversité de ses sources, fournit plusieurs prescriptions concernant la colère ou la violence non contrôlée (mais aussi sur l’orgueil, la vanité, l’honnêteté, etc., que nous avons aussi systématiquement utilisées).

Au-delà, ou plutôt, en deçà de la demande de protection divine contre la colère, le corpus islamique décrit un processus de distanciation à l’endroit des manifestations incontrôlées de colère qui ont eu un intérêt pour notre matière : « Quand l’un de vous se trouve en colère, qu’il se taise » (rapporté par exemple par l’imam Ahmed dans al-Mousnad, A/339) . Attitude prescrite suivante, rester calme : « Si l’un de vous se trouve en colère, qu’il s’assoie s’il était debout pour chasser la colère. Si celle-ci ne le quitte pas, qu’il se couche », etc. Ces propos sont fort connus parmi les musulmans, mais, à l’usage, un seul des bénéficiaires de notre programme les connaissait. Ce constat souligne, parmi maints autres exemples non décrits ici, combien la connaissance de l’islam était partielle, voire lacunaire, orientée à des fins justificatrices du djihad et de l’engagement dans la crise syrienne (biais de confirmation), parmi les bénéficiaires détenus, en particulier les plus jeunes – à une exception près – le détenu X, facilitateur/motivateur d’une organisation pro-al-Qaeda en territoire syro-pakistanais. Nous souhaiterions indiquer qu’un autre propos authentifié de Mahomet nous a été grandement utile ici : « L’homme fort n’est pas celui qui est fort en lutte, mais c’est celui qui se maîtrise sous l’emprise de la colère » . Ce propos, nimbé de l’aura de celui qui l’a prononcé, a fonctionné comme un levier puissant et convaincant pour les bénéficiaires, et leur a fait accepter d’utiliser certaines techniques comportementalistes simples. L’approche TCC (qui avait a priori notre faveur) nous a de surcroît clairement permis de nous distinguer de la psychanalyse, perçue souvent comme une « science juive » (sic) et pour cette raison plutôt refusée par principe. A partir de là, ayant obtenu une adhésion du groupe, nous avons pu entamer une procédure de compréhension de la colère en en décrivant les mécanismes (y compris biologiques, via les notions de stimuli), pour finir sur des exercices individuels de compréhension des cercles vicieux en action et de mise en place de comportements alternatifs.

La gestion de la colère en TCC s’appuie sur l’analyse fonctionnelle des mécanismes cognitifs, émotionnels, physiologiques et comportementaux à l’œuvre dans l’expression de la colère d’un individu dans des situations données (analyse synchronique) et leur articulation dans son histoire et ce qu’il est, sa biologie, sa famille, ses événements de vie, la construction de ses schémas de pensée ou croyances (analyse diachronique) (cf. Figure 1 infra – modèle cognitivo-comportemental de la colère). La colère est une émotion destinée à nous protéger d’un danger mais sa systémisation est pathologique. Chez les patients colériques, l’analyse fonctionnelle met en évidence l’existence d’un cercle vicieux qui en renforce l’apparition. La prise en charge TCC produit l’analyse fonctionnelle de l’expression de la colère chez un patient dans toute sa spécificité et travaille les différents aspects de ce cercle vicieux.

Conclusion : impact, reproductibilité et évaluation

A posteriori, nous considérons que certains résultats sont plutôt consolidés et méritent une recommandation de mise en œuvre : l’emploi du corpus théologique islamique pour légitimer l’utilisation, dans un second temps, d’outils susceptibles sinon d’être rejetés, fait sens et s’avère particulièrement « déployable » sur une population de bénéficiaires qui n’ont souvent de l’islam qu’une connaissance ultra applicative (justification de la violence et gestion morale des faits quotidiens entre halal et haram, le pur et l’impur), et de la langue arabe – une pratique lacunaire voire limitée à quelques formules bien senties, mais mal prononcées. Le djihadisme francophone est aussi une hybridité linguistique .

Par extrapolation, nous considérons que cette démarche est facilement reproductible, y compris en se fondant sur d’autres corpus doctrinaires que le djihadisme, par exemple pour les formes violentes ultragauchistes et ultradroitistes ou possiblement pour d’autres formes de fondamentalismes religieux violents.

En revanche, elle n’est peut-être pas à mettre entre toutes les mains, dans la mesure où aller pragmatiquement « sur le terrain » religieux islamique, pour ramener les bénéficiaires sur un terrain légal et pacifique n’est pas sans périls pour des intervenants peut-être non ou mal formés.

En fin de compte, la question des évaluations individuelles et groupales est évidemment apparue dès la préparation du programme, en aval de l’intervention en détention, comme une phase primordiale. Nous avons fait une méta-analyse des divers outils actuariels ou semi-actuariels d’évaluation, certains d’essence criminologique, d’autres plus psychologiques, certains génériques, d’autres encore axés sur la violence (HCR-20V3 (trop général), Violence Risk Appraisal Guide (VRAG), VERA 2-R), etc. À l’usage, nous avons adopté secondairement VERA 2-R mais en avons identifié les fortes limites (description statique avec évaluation à l’instant t, marge d’incertitude, non-étayage empirique, etc.). Au final, les évaluations ont été multi-variables (variables comportementales, socio-professionnelles, perspective de récidive, sécurité) et multi-instrumentales (VERA 2-R, évaluations cliniques, outil d’évaluation du travail social), y compris la prise en considération des détenus bénéficiaires par le moyen des questionnaires d’appréciation anonyme. Nous reviendrons sur cet aspect décisif de l’évaluation dans un article à venir, tout en soulignant par exemple que les relations entre personnels surveillants et détenus sont aussi parfois (souvent ?) une source de mauvaise perception ou de biais dont il faut tenir compte.

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