C’est un grand pas dans la connaissance et le traitement de la drépanocytose qui a été franchi en octobre 2022 avec les résultats de recherche de notre compatriote Mitibketa Yann Tanguy Ilboudo, auteur d’une thèse de Doctorat soutenue au département de biochimie et médecine nucléaire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, au Canada avec pour thème : "Approches bioinformatiques de l’hétérogénéité de la drépanocytose".
Un réel espoir pour le continent africain, le plus touché par cette maladie.
Explications dans l’interview qu’il a accordée à Kaceto.net

Qu’est-ce qui vous a motivé à faire une thèse de doctorat sur la drépanocytose ? Avez-vous des patients ou connaissances dans votre entourage qui en souffrent ?

Lorsque j’ai décidé de poursuivre des études supérieures, je savais que je voulais participer à la recherche computationnelle au profit des patients atteints d’une maladie pertinente. À l’époque, j’en savais peu sur la drépanocytose. Je savais qu’elle était surtout présente en Afrique et qu’elle tuait de nombreuses personnes au Burkina. Je connais quelques personnes de mon entourage qui sont touchées par la maladie. Mes travaux de recherches sont destinés aux médecins qui les utilisent pour mieux soigner leurs patients, je n’ai donc pas de patients en tant que tel.

Il semble que les Africains sont les plus exposés à cette maladie que les habitants des autres continents, est-ce exact ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?

La drépanocytose est plus fréquente dans les régions où le paludisme est présent depuis longtemps, comme en Afrique subsaharienne. En 1956, les chercheurs Anthony Allison et Haldane, ont formulé “l’hypothèse de la malaria" selon laquelle, la drépanocytose protège contre certaines formes grave du paludisme. Selon des rapports récents de l’OMS, l’Afrique représente à elle seule 95 % de la charge des cas de paludisme dans le monde, l’Asie du Sud-Est et les régions de la Méditerranée orientale représentant 2 % chacune. Par conséquent, les porteurs de la mutation ont un avantage en termes de survie dans les régions où le paludisme est endémique. Cela a conduit à la forte présence de la drépanocytose dans nos populations. Sinon, le taux de prévalence de la mutation qui cause la drépanocytose est réparti dans le monde entier, dans la région méditerranéenne (principalement en Grèce), dans certaines parties de l’Inde et au Moyen-Orient.

Y a t-il un lien entre le paludisme et la drépanocytose ?

Comme je l’ai indiqué plus haut, il y a un lien entre le paludisme et la drépanocytose. En effet, des études ont montré que le trait drépanocytaire protège à 90 % contre les formes graves (cérébrales et anémiques) et les complications de la maladie, et à 60 % contre l’infection palustre liée à l’hospitalisation. La physiopathologie de la protection du trait drépanocytaire contre le paludisme n’est pas entièrement comprise. Trois hypothèses principales existent :
  1. La forme des globules rouges en forme de faucille empêcherait le parasite de se répandre dans le sang
  2. L’affaiblissement de la croissance du parasite lors de la séquestration vasculaire
  3. Le génotype du parasite
Plusieurs autres mutations de l’hémoglobine protègent contre le paludisme.

Quel est l’état actuel des connaissances sur la drépanocytose ?

La Food and Drug Administration (FDA) (agence de santé américaine qui régule les médicaments) est sur le point d’approuver la première thérapie médicale utilisant l’édition de gènes pour traiter la maladie. Ce traitement utilise la technique d’édition de gènes appelée CRISPR pour traiter la drépanocytose. 
Vertex Pharmaceuticals de Boston, la compagnie qui a développé le traitement avec CRISPR Therapeutics, également basé à Boston, a indiqué que l’exa-cel (le nom du médicament) semblait sûr et très efficace pour prévenir les épisodes de douleur atroce qui frappent les patients atteints de drépanocytose. Le traitement a fonctionné chez 29 des 30 patients suivis pendant au moins 18 mois, et ne semble pas poser de graves problèmes de sécurité à court terme, a indiqué la société.
Malheureusement, le coût probable de la thérapie, s’élève à 2 millions de dollars américain par patient. Le traitement est également complexe, car il nécessite une greffe de moelle osseuse et une longue hospitalisation. Ces facteurs risquent de le rendre inaccessible à ceux qui en ont le plus besoin aux États-Unis, ainsi que dans les pays moins riches où la maladie est la plus répandue.

Quelles sont les avancées que vos recherches doctorales ont permis réenregistrer dans le traitement de la drépanocytose ?

Mes recherches dans le cadre de la thèse ont duré six ans. Je me suis concentrée sur trois paradigmes pour l’amélioration des complications de la drépanocytose.
Le premier est l’hémoglobine fœtale (HbF). Des études fondamentales ont signalé les avantages de niveaux élevés d’HbF dans l’amélioration des complications et donc de l’espérance de vie. J’ai donc examiné comment les variantes génétiques pouvaient contribuer à la régulation de l’HbF. J’ai entrepris une analyse intégrative de divers ensembles de données génomiques pour aider à caractériser le mécanisme d’action des mutations associé à l’HbF. 

La densité des globules rouges, ou l’hydratation des globules rouges, est liée au trouble hémoglobine chez les drépanocytaires et à la résistance au paludisme.
Pour ce deuxième paradigme, mon objectif était de découvrir quelles étaient mutations codantes qui sont associées à la densité des globules rouges. L’une de mes principales réalisations dans le cadre de ce projet a été la caractérisation d’une mutation de gain de fonction qui module la densité des globules rouges et qui est actuellement considérée comme une cible médicamenteuse viable pour la maladie. Mes recherches sur le génotype ont donné lieu à une publication en tant que premier auteur dans l’American Journal of Hematology. 

Enfin, la dernière piste envisagée pour l’amélioration des complications de la maladie consistait à étudier le rôle des métabolites (petite molécules dans le sang) (100 à 10 000 métabolites par échantillon). 
En examinant les métabolites connus, j’ai identifié ceux qui étaient en corrélation avec les complications de la maladie (crises douloureuses, ulcères de jambe, fonction rénale, etc.) et avec les paramètres sanguins (nombre de globules rouges, taux d’hémoglobine, etc.). J’ai publié l’article décrivant ces résultats dans la revue Blood Cells, Molecules, and Diseases.
Dans cette étude, j’ai utilisé des méthodes d’épidémiologie statistique pour étudier la relation de cause à effet entre les niveaux de l-glutamine et les crises douloureuses chez les patients atteints de drépanocytose. En outre, j’ai réussi à identifier 66 métabolites qui présentent des associations avec diverses complications de la drépanocytose, telles que la maladie de la vésicule biliaire et le dysfonctionnement rénal.
En termes de connaissances sur la maladie, ma thèse présente l’une des plus grandes études d’association pangénomique pour l’hémoglobine fœtale et la plus grande pour la densité des globules rouges. Elle comporte la première analyse établissant un lien de causalité entre la l-glutamine et les crises douloureuses. Elle contient la plus grande étude sur les petites molécules dans la drépanocytose.
En termes de traitement, ma thèse fournit plusieurs pistes prometteuses pour la thérapie génique et pour les petites molécules (qui représentent des traitements plus abordable que les thérapies géniques) qui pourraient être utilisées pour améliorer l’état de santé des patients.

Interview réalisée en ligne par Joachim Vokouma
Kaceto.net