En dépit des nombreuses campagnes de sensibilisation et la répression contre les contrevenants à la loi sur les mariages d’enfants, le phénomène, loin d’être éradiqué, ne fait que prendre de l’ampleur dans certaines régions du Burkina.

Dans la région des Haut-Bassins, plus d’une cinquantaine de cas de mariages précoces ont été enregistrés en 2018 dans la seule commune de Koti, dans la province du Tuy, selon les responsables de l’action sociale. Dans cette partie du Burkina, bien que d’anciennes pratiques soient utilisées, notamment les rapts ou l’enlèvement de jeunes filles, force est de constater que souvent des filles mineures fuguent et rejoignent leurs petits amis. C’est du moins, le constat que nous avons pu faire le 15 mai 2019 dans le cadre de la caravane de presse, « Zéro mariage des jeunes filles », initiée par le ministère de la Femme, dans une famille où deux élèves de 15 et 16 ans ont arrêté leurs études pour une idylle amoureuse.

Devenus la risée de tout le village, cette histoire va mettre les parents de ces deux filles mineures dans une désolation totale, surtout qu’elles refusent de reprendre le chemin de l’école, malgré l’intervention des services sociaux. Les parents ne sachant plus à quel saint se vouer pour faire entendre raison à leurs filles, et impuissants face à la situation, s’en remettent désormais à Dieu !
La commune de Koti est une petite ville située à 175km de Ouagadougou, dans la province du Tuy, région des Hauts-Bassins. Elle est réputée pour avoir un fort taux de mariages précoces de jeunes filles. Ayant eu vent de cette information, l’équipe de la caravane s’y est rendue pour constater les faits.
Il est environ 10 heures lorsque nous arrivons à la mairie de la localité, après avoir parcouru des kilomètres sans bitume. Sur place, une équipe de plaidoyer du projet autonomisation des femmes et dividende démographique (SWEED), dans le cadre du projet « Sukaabé rewle » ou lutte contre le mariage des jeunes filles, s’y était également rendue pour une sensibilisation des leaders coutumiers et religieux, des organisations de la société civile ainsi que la population sur le phénomène du mariage d’enfants. C’est à l’issue de cette séance de sensibilisation que nous approchons Fati, appelons-là ainsi, une mère de famille de la localité et fervente catholique. Nous lui tendons notre micro afin qu’elle nous décrive le phénomène des mariages des jeunes filles dans la localité et ce qu’elle a appris de la campagne de présentation qui vient d’être faite sur le sujet par l’équipe du SWEED.
Sans hésiter, elle s’est confiée : « Le mariage des jeunes filles est beaucoup fréquent dans cette localité. Il est bien vrai que souvent, ce sont les hommes qui enlèvent de force les jeunes filles pour aller les marier ; mais souvent, les jeunes filles elles-mêmes sont consentantes. Comme l’a signifié les présentateurs au cours de la communication, c’est un phénomène qui comporte d’énormes conséquences sur le plan physique et psychologique ». Puis elle révèlent que sa fille de 15 ans et sa nièce de 16 ans ont récemment été victimes du phénomène. Elles ont d’abord fugué plusieurs fois avant d’abandonner l’école pour aller habiter chez leurs amoureux, et quand on va les chercher, elles y retournent quelques jours après.

Désemparée, elle s’est tournée vers les services sociaux de Founzan, une localité située non loin de Koti et après moult tractations, elle finit par avoir gain de cause à la gendarmerie. « La gendarmerie a menacé les jeunes garçons de laisser mes filles en paix, sinon c’est la prison », nous a-t-elle raconté. Pas du contentes, elles ont commencé à bouder la maman, refusent de reprendre le chemin de l’école classes, de manger et ne dorment pas tous les jours à la maison, préférant dormir dans des abris précaires.
Nous demandons à discuter directement avec les filles, ce que la maman accepte et nous invite à son domicile. Une fois sur place, nous faisons la rencontre de Hamidou, le père de Fati à qui nous expliquons l’objet de notre visite. Très enchanté de recevoir des journalistes dans sa demeure, celui-ci nous installe et nous autorise à nous entretenir avec ses filles à huit clos. « Fati,15 ans est en classe de CM2, après avoir échoué deux fois de suite au CEP. Sa cousine Haoua, quant à elle, était en classe
de 5e », explique Aminata. Ce qui est frappant, c’est la jeunesse de ces deux filles et leur frêle corpulence et qui se réfugient derrière le silence lorsque nous leur posons les questions sur leur attitude. Nous insistons et au bout d’une d’une bonne vingtaine de minutes, elles finissent par passer à table.
On apprend ainsi que leurs amoureux chez qui elles fuguent sont des cultivateurs âgés de 16 et 17 ans. L’un d’eux, du nom de Lucien est l’ami de Fati. « Les après-midi de mercredi, nous n’avons pas cours ; un jour, j’ai accompagné ma cousine qui allait payer de l’atiéké et en route, nous avons rencontré son petit ami qui était aussi avec un copain ; ce dernier nous a invités à venir prendre du thé chez lui, ce que nous avons accepté. Mais en voulant rentrer après, ils ont refusé de nous laisser partir. Je leur ai dit que j’avais école le lendemain, mais ils ont répondu en disant que l’école, c’est désormais terminé et qu’on allait rester avec eux " raconte Fati. Elle nous confie que quelques jours après, elle et sa cousine ont été mariées à ces deux jeunes.
« Ce sont leurs parents qui sont venus célébrer le mariage », a poursuivi Haoua.
Ont-elles été séquestrées ? Non, répondent-elles. Ont-elles été contraintes d’avoir des relations sexuelles avec les deux garçons ? « Moi en tout cas, mon mari ne m’a jamais touchée parce qu’on ne dormait pas dans la même maison. En revanche, je voyais bien que Fati et son copain avaient des rapports sexuels, mais elle était consentante", confie toujours Haoua.

L’équipe de la caravane n’a plus de doute : ces deux filles sont bien consentantes de "leur enlèvement" même si elles tentent de faire croire le contraire, prétextant avoir été "envoûtées" lorsqu’elles sont allées prendre le thé.
Elles ne reprennent plus le chemin de l’école sans véritable raison et préfèrent faire de la couture. L’aventure amoureuse s’est arrêtée, ce que confirme la mère de Fati.
Selon Koumèyarma Dabiré, chef de service départemental du ministère de la Femme de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire de Koti, de nombreux cas comme celui de Fati et Haoua existent dans la commune et la non implication des parents explique pourquoi le phénomène persiste. Les pères surtout disent que c’est de cette manière qu’ils ont eu leurs femmes et qu’ils ne se mêlent pas quand quand il y a enlèvement de jeunes filles. Du côté des femmes, on explique cela du fait que les filles aiment se marier dans leurs famille d’origine, notamment à un neveu ou cousins.
Selon Koumèyarma Dabiré, la pauvreté des parents explique en partie la persistance des mariages précoces ; il dit être parfois débordé par les événements et est obligé, faute de moyens adéquats de faire un appel au secours à d’autres localités. Dans la région des Hauts-Bassins, les zones les plus touchées sont Bama, Faramana, Lena et Koti.
Après notre passage dans ces localités, le constat est implacable : il reste encore beaucoup de chemin à faire pour venir à bout des mariages de mineures dans notre pays.

Frédéric Tianhoun
Kaceto.net