La pandémie du covid-19 affecte les relations sociales et affectives, en particulier, les rapports entre parents et enfants, dans un contexte où les premiers, mal préparés, ne disposent pas toujours des moyens et des outils appropriés pour y faire face.
Dans l’interview en ligne qu’il nous accordée, Boukary Pamtaba, psychologue, par ailleurs président de l’Association burkinabè d’accompagnement psychologique et d’aide à l’enfance ( ABAPE), et coordonnateur du centre de prise en charge pour enfants autistes et déficients intellectuels, revient sur cette question et nous apporte son éclairage.

Kaceto.net : Pouvez-vous nous présenter le centre que vous dirigez ?

Boukary Pamtaba : Le Centre de prise en charge pour enfants autistes et déficients intellectuels a été mis en place pour l’Association burkinabé d’accompagnement psychologique et d’aide à l’enfance (ABAPE), en août 2011. La mise en place du centre vise à pallier l’insuffisance dans la prise en compte des enfants autistes dans le système éducatif classique. Au constat, nombreux sont les enfants qui étaient laissés à eux-mêmes, entre les mains de leurs parents, qui eux-mêmes étaient démunis face aux stratégies éducatives pour faire face aux comportements problématiques de leurs enfants. C’est ainsi que nous avons jugé nécessaire et utile de créer ledit centre, l’objectif principal étant de permettre aux enfants de façon précoce de développer des compétences cognitives, de réduire leur comportement problématique et d’acquérir de nouvelles habiletés sociales.

Quelles sont les activités menées au niveau du centre ?

Le centre a une approche beaucoup plus holistique. Les activités internes du centre sont beaucoup plus axées sur les activités pédagogiques au cas par cas, pour permettre aux enfants d’acquérir les prérequis de bases académiques. Les activités psycho éducatives qui permettent d’accompagner l’enfant à développer des compétences à tous les niveaux (autonomies, performances cognitives et verbales, imitation, perception, coordination oculo-manuelle, motricité fine et globale etc., interaction sociale), les activités socio-éducatives qui permettent aux enfants de mieux interagir avec leurs pairs. En fonction de l’évolution des enfants et des compétences constatées au niveau social, pédagogique et comportemental, et aussi si leur âge leur permet, nous les intégrons dans une école classique pour la suite de leur cursus scolaire. A l’heure actuelle, nous avons 15 enfants qui ont pu être scolarisés et poursuivent normalement leur cursus scolaire.
De façon extra, nous faisons de la guidance parentale à travers les visites à domicile, la formation des parents, des enseignants du primaire et du préscolaire pour leur permettre d’avoir une approche spécifique pour ces enfants.

La situation de crise sanitaire due au covid-19, impacte fortement sur les relations sociales. La situation est-elle vécue de la même façon par les adultes et par les enfants ?

Dans notre contexte socioculturel, le vivre ensemble, le contact social est une de nos valeurs sociétales. Pour faire face au Covid-19, il est demandé une distanciation sociale, donc un changement de comportement.
Pourtant, notre éducation de base voire communautaire qui est beaucoup centrée sur le contact humain, ne peut pas être balayée du revers de la main. C’est notre identité, et cela a forgé notre personnalité. Ce qui fait que les mesures barrières ont créé une certaine fracture sociale et ont plongé notre société dans une situation ambivalente, surtout chez les adultes.
Pour les enfants, nous savons tous qu’ils apprennent par les jeux avec leurs pairs, et cette pandémie est venue mettre en branle cet élan qui permet à l’enfant de s’épanouir et d’être en éveil. Les enfants se sont retrouvés confinés à la maison, dans la routine, sans espace approprié à leur épanouissement. Ce qui fait que certains enfants ont développé durant cette période des troubles du comportement, des crises d’angoisse parce que cela a restreint leur champ d’interaction social.

Les spécialistes en santé, les épidémiologistes notamment, affirment que les enfants sont à la fois des porteurs sains du covid-19 et donc relativement protégés, contrairement aux personnes âgées, mais aussi et surtout, qu’ils sont capables de transmettre le virus autour d’eux. Comment appréciez-vous ce type de discours qui souffle le chaud et le froid ?

Je ne suis pas outillé à réfuter ou à remettre en cause ce que les spécialistes disent sur les enfants qui sont des porteurs sains du Covid-19. Mais je partirai d’un constat surtout au Burkina Faso. Depuis la fermeture des écoles, avec mon regard de psychologue, j’ai constaté que la plupart des enfants sont dans leurs activités ludiques de tous les jours. Ils sont souvent plus de 10 ou 15 assis ensemble autour d’un jeu, sans un respect des mesures de distanciation. Mais ils ont tous une habitation et sont en contact de façon affective avec leurs parents. Donc par ce constat, je me dis qu’il y un problème si ce que disent les spécialistes sont avérés.

Comment faire alors dans notre contexte actuel sans porter préjudice aux enfants ?

Confiner les enfants, c’est mettre en péril leur développement et leur éveil. Les laisser sortir si je m’appuie sur ce que disent les spécialistes, c’est aussi un danger de santé publique. Les parents doivent mettre les bouchées doubles pour créer un cadre d’éveil et d’épanouissement et permettre ainsi à leurs enfants de mieux se sentir dans un environnement social ambiant.
A cela, on peut aussi s’interroger : combien de ménages peuvent mettre en place ces dispositions, étant donné que nous sommes dans un pays où la majorité de la population vit dans une certaine précarité ?

La quarantaine et le couvre-feu décrétés par le gouvernement ont-ils selon vous, contribué à un rapprochement entre parents et enfants au niveau de la cellule familiale ?

La pandémie a été au premier moment une psychose pour les parents. Et dans notre pays, nombreux sont les populations qui gagnent leur ration alimentaire au quotidien. Pourtant, le covid-19 est venu mettre bon nombre de personnes au chômage.
Les parents étaient doublement angoissés du fait de la maladie d’une part, et d’autre part, de devoir subvenir aux besoins de la famille. Cela a déstabilisé psychologiquement bon nombre de parents, et par conséquent cela a eu un coût sur le climat social dans les familles. Et la répercussion, c’est souvent au niveau des enfants qu’elle se manifeste, à travers des cris et par des sauts d’humeurs.

Comment cette situation est -elle été gérée en termes d’organisation des activités du centre ?

Notre public cible, ce sont les enfants en situation de handicap. Avec le covid-19 t les mesures décrétées par les autorités, Il y a donc eu une rupture brutale au niveau du suivi et de la prise en charge des enfants. Les enfants étaient laissés à eux-mêmes avec des des parents qui étaient eux-mêmes déstabilisés.
Pourtant, au centre, la prise en charge est permanente et continuelle. Les enfants en situation de handicap qui n’avaient pas ou qui étaient dans l’incapacité de comprendre la situation, ont vu leur t problématique comportementale s’accentuer. Le niveau de progression de certains enfants a aussi pris un coup, étant donné que certains parents étaient démunis d’approches spécifiques pour faire face aux contraintes actuelles et pour mieux accompagner leurs enfants à domicile.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire actuelle sur le rythme des activités menées ?

Nous avons fait deux mois sans prise en charge, et nous étions face à des difficultés pour payer les acteurs qui accompagnent les enfants, étant donné que nous ne sommes pas autonomes financièrement. C’était beaucoup difficile pour nous, et malheureusement nous n’avons pas bénéficié de mesures d’accompagnement, malgré nos actions d’utilité publique.

Comment envisagez-vous l’après covid, en tant que spécialiste et personne ressource ?

Nous sommes au service des sans-voix, et nous ne devons pas baisser les bras. Avec la détermination des acteurs, nous devons avoir une capacité de résilience pour répondre aux besoins spécifiques des enfants en situation de handicap.
Nous avons opté de prendre en compte la promotion et la protection sociale des enfants en situation de handicap. C’est un sacerdoce et nous cet entretien pour lancer un appel aux lecteurs, au gouvernement et aux personnes de bonne volonté pour leur dire que nous avons besoin d’assistance. S’ils peuvent nous accompagner pour leur meilleure intégration dans la société, ils seront les bienvenus.

Propos recueillis par Juvenal Somé
Kaceto.net